Tri sélectif, tri affectif…

J’aime tout particulièrement les moments incongrus où, au détour d’une rue, on capte un moment de grande intimité de nos congénères. Un moment court, de quelques secondes, qui met en lumière un trait d’humanité révélateur. Pas voyeuse, la Vilaine se contente de cette ellipse pour méditer et entrer dans l’autre et ses intimes pensées, ses beautés et ses tares.

recitpresco.qc.caNos citoyens, enfin conscients de leur devoir de préservation de la planète s’évertuent chaque soir à trier leurs déchets dans les trois poubelles distinctes distribuées à cet effet par les mairies, à sortir lesdites boîtes les jours requis, ce qui demande il est vrai, une certaine mémoire, les jours et heures de passage des camions de ramassage variant selon les déchets collectés.

Ce soir, cheminant d’un bon pas vers mon asile, je suis entrée dans une rue adjacente à la suite quasi directe des éboueurs du mardi soir, les percepteurs de papier, carton et plastique. A une vingtaine de pas, du grabuge : une dame dont la voix âgée se détache en une litanie « y’a que des journaux, j’vous dis, y’a que des journaux » tout comme sa silhouette sur le trottoir peu éclairé, s’accroche de toutes ses maigres forces à sa poubelle au couvercle jaune.

Voici donc ce que l’on nomme la honte, la honte que la rue entière sache qu’elle a mal trié ses ordures, car afin que le bon citoyen puisse comprendre en un instant le pourquoi du comment ses rognures n’ont pas été relevées, le centre de tri a mis en place une petite astuce. Sceller la benne contenant le déchet mal trié par du gros scotch blanc portant de belles et grosses lettres vertes : ERREUR DE TRI. Mais voilà, le revers de cette joyeuse idée c’est que la boulette est soudain affichée à la vue de tout le voisinage, et chaque gentil voisin en sortant promener son chien pour sa pisse matinale, peut constater que Madame Chuchemahue n’a pas correctement trié ses épluchures !

Ah, elle peut se pavaner avec sa terrasse toujours impeccable, ronchonner sur les jeunes qui dévalent la pente comme des diables sur leurs « patins à roulettes », les voilà rassérénés en pensant mesquinement qu’elle se moque éperdument de l’avenir de la planète, voire que cette vieille folle n’est même plus capable différencier le carton de ses oranges !Image 11

Voilà ce qui terrorise la septuagénaire se battant bec et ongles contre l’implacable adhésif, et voilà ce que le gentil employé ne semble pas comprendre lorsqu’il tente de la calmer par un mielleux « m’enfin Madame ce n’est pas grave ».

Mais si, c’est grave, Madame Chuchemahue panique car l’opinion du voisinage lui importe à ce point qu’elle en mourrait si ce malheureux posait le glutineux, c’est tout ce qui lui reste son image de parfaite petite voisine elle ne va pas y renoncer pour un malheureux polystyrène… Alors dans un sursaut de fierté, l’instinct de survie décuplant les forces de notre héroïne du quotidien, oubliant soudainement les badauds, elle plonge la tête et le bras fripé au fond de la profonde boîte à ordures et en extirpe l’objet du délit, sauvant ainsi sa benne du capsulage et sa dignité…

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2 réflexions au sujet de « Tri sélectif, tri affectif… »

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