Il s’interroge sur ce qu’il fait là, pourquoi il a accepté ce contrat, sachant pertinemment qu’il ne goûtait ni cette musique, ni cette sotte caillette dandinante. Pour une raison qui dépasse la sienne, il est pourtant toujours là. Bien sûr, il pourrait s’ensauver, personne ne tenterait de l’en empêcher, et pourtant il reste là, l’air absent, sur un siège à peine confortable, bien calé sur son séant, jouant distraitement avec son portable, il n’écoute pas, mais entend, les vocalises approximatives issues de goualantes bien peu émouvantes.
Sa nuque est raide, lentement il tourne la tête à gauche, essuie son front un peu moite, continue le mouvement circulaire prompt à détendre ses maxillaires. Dans son angle mort, il remarque d’abord la robe, colorée et parfaite, le genre de robe qui ne souffre pas les défaites. Il en reconnaît la signature, la même que celle créée pour donner à la chanteuse-remuante un peu plus d’allure. Le fla-fla s’anime, révélant le corps exquis glissé dedans, puis le visage marqué d’un ennui sage, contrastant avec le vêtement criant de joie.
Le menton dans la main, pour retenir une mâchoire lassée de toutes ces mondanités, elle contemple le plafond pour en traquer les malfaçons. Elle a compté quelques fissures, en a suivi les lignes torturées, a imaginé le dôme s’effondrer, s’est vue toute dépecée et en a été quelque peu soulagée… Sa morosité l’amène à observer, d’abord son cavalier gommeux, tout gonflé de vanité, trop heureux de la montrer, si gracieuse dans la tenue qu’il lui a imaginée et forcée à porter, et puis les spectateurs, les fans de la première heure, hurlant et gesticulant.
Et dans ce marasme de groupies, elle l’a vu lui. Il la fixe avec bienveillance, un regard doux et un peu fou, là, juste à sa droite, à quelques strapontins, elle pourrait le toucher de la main. Il ne baisse pas les yeux et semble s’ennuyer juste pour eux deux. Alors elle sourit, bêtement, loin de toute raison ou entendement, ses pupilles se dilatent, sa robe l’étouffe, c’est ce regard qui lui suspend tout son air.
Sans aucune raison logique, elle sait, elle en est persuadée, comme une éclatante vérité, elle sait qu’il est fait pour elle, qu’elle le rendrait plus heureux que n’importe qui d’autre pourrait le faire, du cerveau à la moindre de ses artères. Elle sait que si le destin l’a mis sur son chemin ce n’est pas un hasard, que la vie a juste eu du retard, fâcheux contre-temps luciférien, mais que l’on ne peut sentir une telle fusion avec quelqu’un sans que cela soit à dessein.
Puisqu’elle le regarde à son tour, puisqu’ils se contemplent, il ose s’aventurer au-delà des atours, il avale les quelques mètres de fauteuils, se contre-fout d’à peu près tout, du possible refus, du mari imbu. Puisqu’aucun des deux ne respire, puisque ses yeux semblent aimer rire, il se dit tant pis, qu’il n’a qu’une vie, qu’elle est bien trop jolie, qu’il ne peut pas la laisser là, seule, dans la détresse de sa dress, qu’il lui faut, à tout le moins, obtenir son adresse…
Très beau récit.
*Commentaire intelligent du matin*
Merci Gounjounette.
*pas de réponse futée en stock, la Vilaine n’est pas en forme*