
Page noire
Il y a la peur de la page blanche, celle dont tout le monde parle, qui effraie toute personne qui tente d’écrire sa vie ou de faire de sa vie une suite d’écrits.
Et puis il y a la page noire, moins médiatisée… C’est la page que l’on remplit avec frénésie, dans une urgence étrange où tout semble simple, tout semble couler. On pourrait s’imaginer que la page noire n’est que bonheur, joie, espoir !
Mais, puisqu’elle revêt la couleur si souvent associée à la morbidité, il faut bien qu’elle dissimule, sous des airs de liesse, un revers de médaille. Ce revers, c’est la peur de s’arrêter, parce qu’il faudra bien, à un moment, s’arrêter. Il faudra bien aller manger, dormir, travailler, s’occuper des enfants, de diverses tâches et des corvées.
Alors la page noire emprunte à sa soeur blanche l’angoisse des fins de dimanche : l’inspiration va-t-elle passer ? Si je m’arrête, là, maintenant, si j’abandonne, même pour une petite heure, mes personnages dans l’ordinateur, ce besoin d’écrire va-t-il s’enfuir ? Serais-je capable de les retrouver sans me perdre dans une journée faite du quotidien de tout un chacun, sans les laisser s’empoussiérer car, oui, je m’en souviens, c’est déjà arrivé.
La page noire est une bataille, une guerre intestine, celle de l’inspiration contre le temps. Elle ne choisit pas son moment, elle débarque comme une sublime vague sur laquelle il faut surfer maintenant… Encore faut-il pouvoir y aller. Et l’on se promet de ne rien lâcher, de conserver, quoique l’on fasse, cette inspiration qui donne le frisson, qui nous réveille avant le lever du soleil et nous fait oublier le sommeil.