
Un lascar inoffensif
J’avais oublié les lascars, ceux qui te veulent quand il fait noir.
J’avais oublié qu’en ville, sortir seule dans une ruelle au milieu de la nuit était naïf voire un peu débile.
Pourtant j’ai vécu en banlieue et à Paris, j’ai pris le métro aux heures les plus sombres de la nuit, des RER déserts, de ceux qui font flipper les petits vieux abreuvés d’images du vingt heures. Durant ces trajets, j’ai souvent tressailli, retenu ma respiration, prié pour un dénouement heureux tandis qu’une bande éméchée s’amusait à m’entourer ou qu’un pervers à imper, mallette dans la main droite, se branlait de la gauche (celle où une alliance trônait fièrement).
Mais j’avais oublié ces lascars, je n’étais plus habituée parce que je vis dans un lieu où je peux marcher à n’importe quelle heure de la nuit, parce que si la rue y est déserte, elle n’a rien pour m’inquiéter, au pire, je risque d’y croiser un blaireau mais un vrai…
Alors dans cette ruelle sombre et déserte de cette ville pourtant très animée, alors que je promenais mon chien, quand cette voiture s’est arrêtée, je ne me suis pas méfiée.
J’avais oublié les lascars dans cette petite ruelle de Colmar.
Quand le conducteur a baissé sa vitre pour me parler, je ne me suis pas méfiée.
Quand il a évoqué mon chien, le regard en coin : « Il a une belle queue », un instant, j’ai pensé que l’allusion n’était pas à dessein (vas-y moque-toi, tu fais bien). J’ai cru à l’un de ces mots que l’on emploie parfois avant de s’apercevoir un peu gêné (ou amusé) de son possible double emploi.
J’avais oublié les lascars et leur façon de t’aborder quand tu es seule le soir.
Et puis, l’instant d’après, j’ai compris que sa phrase n’était pas liée au hasard. Alors j’ai accéléré. Il m’a hélée : « Attends ! Reste un peu, on va discuter ».
J’ai marmonné que l’on m’attendait sans décélérer.
Je vis dans un lieu protégé et je m’y suis si bien intégrée que j’ai oublié que lorsque l’on est une femme, il faut être guerrière et ne jamais tout à fait baisser les armes.
J’avais oublié les lascars, j’en ai croisé un dans une petite ruelle de Colmar.
Rester prudente, sans être parano, mais prudence. Éviter les balades nocturnes, seule ou avec son chien, peut-être qu’un malinois aurait été plus intimidant et fait fuir ce lascar. Le monde qui nous entoure est devenu une jungle, la nuit ces lascars chassent sans scrupule dans des villes parfois inhumaines. Le temps des retours de soirées tranquilles, à pieds traversant les agglomérations, à disparu depuis longtemps… Paroles de vieux.