
Hasardeux client
C’est vendredi soir, il est 19h25 précises. La buraliste lorgne sur sa pendule et, dans le même temps, sur la file d’attente qui s’allonge…
Elle ferme dans cinq minutes, les clients ont ce don agaçant de s’y prendre à la dernière minute pour refaire le plein de clopes ou jouer leur va-tout au Kéno® parce que, démarrer l’année avec le compte renfloué, ça les fait rêver même s’ils tentent leur chance en vain depuis des années, même si, à force, les grands gagnants du loto et autres gros lots s’apparentent plus à de la légende urbaine qu’à une vraie possible aubaine.
Elle prend sur elle pour ne rien laisser paraître de son impatience, enchaîne les scanners sur les grilles remplies de beaucoup d’espoir et d’un peu d’encre, sourit juste ce qu’il faut, donne du bonsoir et de la bonne année aux habitués.
Et puis voilà Raymond, il tend son précieux billet sans marmonner la moindre politesse, la sueur qui perle sur le front, il farfouille dans son baisenville parce que oui, Raymond a un baisenville et, sans doute que l’été, il le troque pour une banane estampillée du logo d’une boisson anisée.
La buraliste lui donne le tarif : douze euros cinquante.
Raymond stoppe tout net sa recherche de monnaie, douze euros cinquante ? C’est bien trop… Il doit y avoir une erreur, ou bien est-ce que le prix a augmenté par numéro coché ? La commerçante inspire, regarde à nouveau la pendule puis Raymond qui s’imagine déjà qu’elle tente de le faire marron, qui rougit et perle du front de plus belle.
Pas d’erreur, il semblerait que ce soit la pliure, là, sur le papier qui trompe la machine, ça fait comme une case cochée de plus, indique la commerçante avec un calme mêlé de fermeté, juste ce qu’il faut de fermeté…
Elle précise (des fois que Raymond y ait songé) que le passer de nouveau dans le lecteur ne changera rien à son malheur, il faut recommencer, remplir une nouvelle grille, et tout en précisant le tout avec juste ce qu’il faut d’articulation, elle lance son regard vers le client suivant, persuadée que Raymond va s’écarter pour le laisser passer, le temps de griffonner à nouveau ses numéros.
Mais Raymond ne bouge pas, Raymond n’a pas que ça à faire, alors il va prendre des flash, des grilles automatiques (même si Raymond n’aime pas laisser le hasard se charger du hasard). La buraliste s’exécute et pour que le tout rentre dans le budget contenu dans le baisenville, indique à chaque grille scannée, le montant cumulé.
Quatre euros cinquante, remettez-m’en…
Sept euros, rajoutez-en…
Neuf euros, un dernier et on est bon.
Douze euros cinquante…
Raymond est content… douze cinquante, c’est finalement un excellent montant.
On est bien content que Raymond soit content… Je ne sais pas encore à mon âge M’dame si dans la vie douze cinquante est excellent montant mais à la lecture de ces lignes, se dire que nouvelle star emplissant sa grille flash et sans Rayban, ce Raymond,à l’air excellent !
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