« On ne va pas non plus s’arrêter de vivre », il a dit ça avec une légèreté emprunte de révolte adolescente pour justifier de sortir encore, pour justifier de voir « pas grand monde » mais du monde encore.
« On ne va pas non plus s’arrêter de vivre » il l’a dit sans même s’apercevoir de l’ironie indécente de sa réplique.
La conversation ne m’appartenait pas, j’étais auditrice malgré moi, pour autant les mots tournaient dans mon cerveau rendu cynique :
« Tu as raison, tiens, on ne va tout de même pas s’arrêter de vivre, ça pourrait sauver des vies.
Tu as raison, tiens, on ne va tout de même pas s’arrêter de vivre, ça pourrait permettre à nos soignants au bout de leurs forces de respirer quelques instants.
Tu as raison, tiens, on ne va tout de même pas s’arrêter de vivre, ça pourrait permettre à nos médecins d’avoir le temps de ne pas trier les patients, de ne pas aller travailler la peur au ventre et en pleurant. »
Et puis, après le flot logorrhéique, ses mots en lettres de feu ont pris un sens plus évident : « On ne va pas non plus s’arrêter de vivre », non, nous n’arrêtons pas de vivre. Ceux qui s’arrêtent de vivre ne sont ni moi, ni toi jeune flandrin qui danse sur la sueur des médecins. Non, ceux qui s’arrêtent de vivre sont dans un lit d’hôpital, seuls, sans famille.
« On ne va pas non plus s’arrêter de vivre », non, personne ne nous demande « d’arrêter de vivre ». Tout ce que l’on nous demande c’est d’apprendre à vivre différemment, autrement quelques temps. Nous sommes vivants, nous mangeons, buvons et rions, nous nous occupons, chacun à sa façon mais nous sommes vivants, nous n’arrêtons pas de vivre, nous vivons juste autrement quelques temps.
Superbe billet, merci.
Il est grand temps que je vous rajoute dans mes liens, pour ne plus oublier de passer ici…
Merci beaucoup…