Elle et moi, c’est une histoire de livres, d’art et de boulot. J’arrivais pour un poste de chef de service, elle était déjà là depuis un certain nombre d’années, nous étions deux grosses bosseuses, toujours les dernières à partir, les premières à arriver.

Et puis une fois chacune rentrée chez soi, on se faisait des Scrabble, des concours de rapidité de frappe, le tout en ligne. Une marotte un peu idiote dont on ne parlait à personne pour ne pas passer pour folles.
J’ai découvert mon premier dîner Mille-Feuilles avec elle, grâce à elle qui y était déjà fidèle.
Elle était présente, bien des années après, quand je me suis trouvée de l’autre côté, avec les auteurs. Elle, dans le public à me couver du regard, à m’héberger pour cette nuit incroyable. Elle, me posant des questions de cette fine intelligence que j’admirais, comme si l’on ne se connaissait pas.
On écumait les musées, les expos, profitant des nocturnes qui nous permettaient de flâner après nos journées à déposer des brevets. On allait au théâtre, vivantes et un peu saoules, on a passé un bout de soirée avec Luchini, un soir où il ne voulait pas rester seul après le spectacle… On vivait l’improbable avec légèreté.
Et puis j’ai déménagé.
Ni elle, ni moi n’étions du genre à se donner des nouvelles régulières mais, de loin en loin, l’une pensant soudain à l’autre, nous parvenions à nous dire nos vies par téléphone dans un résumé rythmé, ne gardant que l’important, riant du pire, riant au mieux.
Dans ma boîte aux lettres, je recevais les livres qu’elle estimait que je devais absolument découvrir parce qu’elle savait ce que j’aimais, parce qu’elle avait aimé grandement. Je recevais ces livres, souvent, sans autre raison.
La dernière fois qu’elle est venue me voir, elle avait une pile énorme de livres dans ses bagages, pour moi, pour mon fils… Pas un seul de la pile n’était à côté, tous m’ont charmée, comme à l’accoutumée.
Ne parvenant pas à avoir de ses nouvelles depuis un petit moment, j’ai su, j’ai senti.
Aujourd’hui j’ai insisté sur un autre téléphone que le sien, je savais.
Aujourd’hui j’ai appris que ma petite dealeuse de livres, mon amie, avait choisi que tout ça, ça suffisait.
Alors, aujourd’hui, j’ai envie de lui dire merci, ici parce qu’elle y venait pour me lire… Merci pour tout ce qu’elle m’a donné, pour tout ce qu’elle m’a transmis, merci pour tous nos moments de vie.
Oh… ça m’avait l’air d’être quelqu’un de formidable…
Oui, vraiment.