Nous traversons tous des moments de marasme, des périodes où l’on ne sait plus comment tenir la tête hors de l’eau. Certains en parlent, d’autres non. Soit par fierté, soit qu’ils estiment qu’en parler revient à ressasser encore et encore et préfèrent évoquer, en autruche, les quelques soleils qui parsèment leurs journées.
Dans ces moments de profonde détresse, on cherche une bouée, n’importe laquelle, quelque chose pour tenir encore un peu, juste encore un peu, le temps que le vent fasse demi-tour, il fait toujours demi-tour.
Il suffit parfois d’un rien, un acte minuscule, un appel surprenant à l’exact bon moment… Oui, un simple appel, une personne pas si proche qui vous déclare tout-à-trac « Je t’aime », parce que c’est Noël, parce qu’elle n’a pas eu de vos nouvelles ou juste parce qu’elle le pense à cet instant.
Ne soyez pas avares de vos sourires, n’ayez pas la pudeur de vos sentiments, n’attendez pas forcément une occasion, une nécessité…
Ne vous fiez pas au rire ravageur, à la bonne humeur de cet ami ou de celle-ci à qui il semble que tout réussi.
Ce n’est pas toujours celui qui pleure le plus fort qui traverse les plus grands chagrins, il est des noyades silencieuses qui ne font pas même le murmure d’un clapotis.
Et ce sourire que vous offrez, et ces trois mots que vous prononcez, pourraient bien être la bouée qu’ils attendaient.
Il y a des gens que j’aime d’un amour qui n’existe nulle part ailleurs dans mon cœur.
Des gens que j’aime pour leur rare loyauté et leurs valeurs. Des gens animés par la conscience de leur brève existence, par l’urgence de semer la bienveillance et la beauté.
Ce n’est pas un amour charnel, fraternel ou maternel, c’est un amour d’âme.
C’est un amour pur, un amour originel.
Ils pansent leurs blessures en pensant les autres, ils battent l’injustice au rythme de leur cœur. Leur droiture ne faillit pas et, si toutefois elle s’émousse, ils n’ont de cesse de réparer leur erreur.
Il y a des gens que j’aime d’un amour qui n’existe nulle part ailleurs dans mon cœur.
Des gens devant lesquels je peux me présenter nue sans craindre pour ma pudeur. Ils défont leur manteau pour m’en envelopper.
Ils répondent aux questions les yeux droits dans le cœur, ils ne détournent rien, même à leur faveur.
Il y a des gens que j’aime d’un amour qui n’existe nulle part ailleurs dans mon cœur.
Parce qu’ils ont l’humanité et un code d’honneur, parce qu’ils ont la fidélité et les actes des grands seigneurs.
On vit dans le souvenir des grands événements et dans l’attente des suivants.
On vit dans le souvenir des grands événements et dans l’attente des suivants, oubliant que ce sont les moments anodins, les petits riens du quotidien qui en sont les ponts, qui en font le chemin.
Que ce sont ceux-là qu’il convient de soigner, d’entretenir et de provoquer, et de savourer.
Nourrir les riens du quotidien, les joies minuscules, les bonheurs lilliputiens, lesquels, à force de grandir, à force de fleurir, de se cumuler, de s’amonceler, en viendront à nous dépasser et sans même que l’on n’y prête la moindre attention, permettront aux grands d’advenir.
Le beau, le grand, il faut aller le chercher dans l’infinitésimal, dans le discret, c’est là qu’il est caché.
Et dans les moments compliqués, se souvenir de ce qui fut, de ce qui sera sans perdre de vue ce qui est, là, à portée.
Faire que son herbe soit plus verte qu’ailleurs en l’enrichissant de son amour jour après jour, en conservant son regard premier, celui encore emprunt de sa naïve découverte.
On vit dans le souvenir des grands événements et dans l’attente des suivants, oubliant que ce sont les moments anodins, les petits riens du quotidien qui en sont les ponts, qui en font le chemin.
Parce que ce qu’il subsistera, à la fin, au moment de se retourner une toute dernière fois sur sa vie et son passé, ce qu’il y aura, à la fin, ce sera avant tout, surtout, par dessus tout, les souvenirs d’une vie construite sur le quotidien.
On a tous vécu une fois (façon de parler) une situation qui ne nous convenait pas.
Généralement, quand elle n’est plus pour nous, quand on doit bouger, changer, partir, modifier, l’Univers nous la rend d’inconfortable à douloureuse, ad nauseam. On nous dit de penser que « c’est une leçon », un apprentissage, que tout est pour le mieux et que le meilleur adviendra, surtout, n’oubliez pas de remercier le guide.
Quelqu’un a-t-il un jour soufflé à l’Univers les bienfaits de l’éducation positive pour le sortir de sa préférence pour l’éducation coercitive ?
L’humain est-il con à ce point qu’il ne puisse avancer autrement qu’à coups de poings ?
Ne pourrait-on pas imaginer toute autre façon de progresser ? Une échelle de bonheur dont on gravirait les échelons ?
Ne pourrait-on pas ? Allons, juste pour cette fois, imaginons…
« Bonjour, vous êtes au niveau deux sur l’échelle du bonheur. Nous vous proposons une opportunité, voilà une occasion que nous vous tendons, à vous de la saisir ou non. Excellent choix, Madame Quicampois ! Vous voici donc parvenue au niveau trois ! »
Au fil de nos vies, nous progresserions gentiment, chacun son rythme, de barreau en barreau jusqu’au sommet qui nous correspond. Ou, si nous n’avions pas compris la leçon, nous resterions bloqués en bas, sans plus de façon, sans besoin de PLS et de guérison.
Mais non. L’Univers préfère l’apprentissage par la douleur. Il nous fait brusquement tomber du piédestal sur lequel on croyait avoir été délicatement déposé, là où l’on pourrait enfin se poser, se reposer, tomber l’armure et les épées.
Puis il nous regarde sombrer, couler bien profond, et lorsque la blessure est béante, ravivant toutes celles du passé, lorsque les viscères sont à terre, prêtes à se putréfier, alors il nous demande de les examiner avec la compétence de l’haruspice.
Et si, par chance, on parvient à comprendre et intégrer, alors, seulement, il nous fait l’insigne honneur de nous tendre la corde de la miséricorde à laquelle notre instinct de survie nous pousse à nous accrocher pour nous échapper.
Il serait bon que quelqu’un souffle à l’Univers qu’il existe d’autres façons que l’affliction. À moins que l’on ne tente une pétition ?
et sache que la plume qui ressemble à un doigt d’honneur, je m’en sers pour écrire mes colères
Pour écrire, il faut du temps, un esprit clair, de la tranquillité, de l’air.
Il faut quitter ses quatre murs qui servent à tout : lieu de vie, de travail, lieu partagé parce que l’inspiration, ça s’aère. Et si l’écriture est solitaire, l’interaction est nécessaire.
Et tu as pu le constater, du moins ici, lecteur notifié, je n’ai pas franchement produit, ces derniers temps.
Bien sûr, il y a ma petite maison d’éditions associative et les ateliers merveilleux que j’ai pu organiser en juillet et en octobre. Mais, crois-le ou non, c’est du boulot, plaisant certes mais à organiser sérieusement. J’y mets mon coeur tout entier et je vois le bien que cela fait aux participants.
Bien sûr, il y a mes clients et leurs demandes de correction, mise en forme voire rédaction de manuscrits (oui, parfois, souvent, je me cache derrière d’autres gens) qui me permettent d’effleurer mon Ikigaï.
Pour autant, ce n’est, pour moi, toujours pas « écrire », ces six lettres que je transpire tant et tant que, lorsque l’on m’interroge sur mon prochain roman, lorsque l’on me demande si je suis en train d’écrire en ce moment, les larmes me viennent, ma parole se suspend.
J’ai besoin d’écrire comme de respirer, comme j’ai besoin de rire et de danser, si je n’écris pas, c’est comme si je n’étais plus tout à fait moi, je cesse de pétiller, je perds l’envie, je suis déracinée. Mais mon temps est grignoté et je n’en trouve plus assez.
Alors j’ai rempilé pour le PNE, j’ai à nouveau envoyé mon dossier qui a été accepté, rendez-vous pour une nuit blanche d’un samedi vers un dimanche.
Et puis, pour la première fois cette année, je participe au Writober challenge. Octobrécrit en français dans le texte. C’est un petit défi : un mot pour cinquante, chaque jour. Un mot imposé par jour sur lequel en produire cinquante, à illustrer ou mettre en scène et à poster sur les Réseaux Sociaux avec le hashtag correspondant. Ça semblait amusant mais, finalement, c’est un peu plus que ça.
Force est de constater que ça redonne de l’élan. Je n’étais pas sans savoir que, écrire, au-delà des indispensables temps, tranquillité, aération (et je ne vous parle pas de COVID, ouvrir les fenêtres n’est pas, ici, suffisant), c’est un peu comme l’appétit : ça vient en mangeant. Cet Octobrécrit, c’est un peu une petite bouchée de pain quotidien qui vous rouvre l’estomac tout en grand.
En ce huitième jour du défi, je m’aperçois que dès que je pose mon trente-cinq fillette sur le lino déjà devenu froid, mon cerveau compose les cinquante mots pour un, sans vraiment y penser. Doucereusement, cela devient une petite routine automatique du matin.
Alors oui, en octobre j’écris, je réhabitue mon esprit, je remets en branle ce qui a fui et je mettrai aussi sans doute ici, quelques-uns (tous ?) des textes que ce joli défi est venu chercher dans les tréfonds de mon esprit.