Deux coups de poing sur le crâne

incardona-panneaux-270x250J’ai récemment eu le plaisir de participer au prix Lettres Frontière (un prix décerné par les lecteurs des bibliothèques municipales récompensant un auteur suisse et un auteur français). Non, lecteur assidu et fan de la première heure, pas pour ma pomme, pas en tant qu’auteure (ah ! ah ! petit farceur ! On est bien loin de là !), non, en tant que lectrice.

Après la petite réunion qui vint conclure nos lectures lors d’un « prose café » et les notes données, les débats parfois animés sur les styles et les ressentis, je suis tombée, dans la même journée, sur une affiche reprenant une citation de Kafka (extraite d’une lettre qu’il adressât à son ami Pollak) :

« Il me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent.
Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un bon coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire (…)
Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous.
Voilà ce que je crois. »

C’est très exactement ce que j’attends de la lecture. Peu importe que le coup de poing soit celui de la puissance du style ou de l’histoire, il me faut être secouée d’une manière ou d’une autre et que, quelle que soit l’intrigue, je ressente une musique dans l’écriture, un soin dans le choix des mots. Parmi les livres de la sélection Lettres Frontière, j’ai reçu deux de ces merveilleux coups de poing sur le crâne.

D’abord « Derrière les panneaux il y a des hommes » de Joseph Incardona, qui m’a réconciliée avec les polars (comme seul le regretté Thierry Jonquet et son « Moloch » l’avait fait jusque là). Un livre d’une puissance incroyable, cru, terriblement cru mais dont l’écriture scénaristique et incisive sert un livre passionnant humainement. L’auteur parvient, de plus, à une empathie incroyable envers chacun de ses personnages (pas un n’est laissé de côté, pas un n’est tout blanc ou tout noir).

Puis « Archives du vent » de Pierre Cendors qui est LA claque littéraire de l’année pour moi. Un livre comme une performance d’écriture qui ne néglige pas pour autant une histoire passionnante autant que surprenante (et parfois déstabilisante) mais nécessite d’aimer sincèrement devoir un peu en baver pour accéder à tout le spectre de cet art (car oui, pour moi, une telle écriture, c’est de l’art).

J’ai également adoré « En cheveux » d’Emmanuelle Pagano, dont l’écriture est toute faite de dentelle pour servir un récit féministe et fort…

C’est finalement « Sur la route de Beit Zera » de Hubert Mingarelli et « Un lieu sans raison » d’Anne-Claire Decorvet qui ont été couronnés par ce prix. Je n’ai pas vraiment accroché sur le premier, j’ai beaucoup aimé le second (même s’il n’est pas dans mon trio de tête personnel, c’est un livre également fort, à l’écriture soignée), bravo aux gagnants et merci à eux, comme aux autres pour ces découvertes.

L’ascenseur

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©la vilaine-Infographie par LaVilaine

Écrire, imprimer, lire, reprendre, corriger, relire, aimer…

Détester, se persuader qu’il n’y a là rien, rien qui vaille d’avoir donné tout ce temps, fait tout ce chemin. Hésiter à envoyer le tapuscrit dans les oublis, regarder la corbeille virtuelle de son ordi.

Avant le geste ultime, avant le non-retour, l’envoyer, le faire lire. Choisir son lecteur pour sa profondeur, sa franchise, son point de vue toujours précis.

Recevoir des éloges, s’en surprendre, relire, corriger, approfondir, s’enchanter… Douter, à nouveau… Imprimer, lire, reprendre, corriger, relire, aimer, détester, douter.

Voilà le drôle de ballet fait de sauts et de chutes de celui ou celle qui crée.

En attendant Bojangles

en-attendant-bojanglesAvalé d’une traite, en quelques heures de fête, « En attendant Bojangles » d’Olivier Bourdeaut, a rempli mon dimanche après-midi et a remisé à plus tard la grande marche que je brûlais pourtant de faire. J’avais en tête d’en parcourir quelques pages avant d’aller trottiner au soleil, histoire de goûter à ce qui m’attendait pour la soirée, mais je ne l’ai refermé qu’une fois terminé.

Dès les premières pages, j’ai souri. D’abord parce que ce livre est doté d’une « écriture poésie » (et ceux d’entre vous qui me lisent ici comprendront dès les premières lignes pourquoi je me suis senti chez moi), ensuite parce que l’histoire (un peu) folle de cette famille (totalement) atypique vous emporte en tourbillonnant et vous donne, aurait dit mon arrière-mamie, des agaceries dans les jambes (dansons à chaque occasion).

Cette mère à la folie non passagère à la fois si lourde et si légère; son mari passager volontaire, à la poésie mensongère ; cet enfant pour qui chaque jour est un délire unique; tout dans ce livre touche au coeur. Des ouvrages qui font rire et pleurer avec autant de sincérité et de simplicité sont assez rares pour être partagés. Des livres dont les protagonistes continuent de nous accompagner, longtemps après les avoir refermés, le sont tout autant.

Et puis, ce rappel comme une évidence que l’on a tendance à oublier (la faute au quotidien, la faute à… rien…) : qu’il ne faut pas être sérieux avec les enfants, l’enfance se doit d’être tout, sauf sérieuse.

 

Comment je suis devenu un écrivain célèbre – Steve Hely

Parce que je ne sais pas choisir parmi tous les livres que je brûle de lire, j’ai un petit carnet qui ne me quitte jamais et sur lequel je note chaque ouvrage chaleureusement recommandé par des amis dont je sais qu’ils partagent mes goûts, et qui me sert de coupe-faim, lorsque, affamée je pénètre dans une librairie et risque d’y acheter à peu près tout ce qui me semble bien écrit.

Pour me sevrer (et parce que mes fringales littéraires peuvent me prendre à la brune et que, soyons francs, la première librairie n’est pas à portée de pas), je commande à présent mes livres une fois de temps en temps, me tenant uniquement à cette liste (bon… D’accord… Personne ne me croit, même pas moi). Je ne vous cache pas que la commande est à chaque fois volumineuse et que lorsque le facteur, essoufflé et de grosses perles de sueurs roulant sur son front, me dépose le paquet tant attendu, je contemple mes petons pour éviter son regard lourd de reproches et me garde de sautiller de joie comme une gaminette de peur qu’il ne m’accuse de sadisme (cela dit, je sais me faire pardonner et achète à prix d’or chaque année un calendrier orné d’horribles chatons que je m’empresse de recycler).

Bref… C’est ainsi qu’au milieu d’une pile d’ouvrages que je caressais déjà en pensée, j’ai joué à amstramgram pour savoir par lequel commencer (une fois le postier assez loin et après la frustration d’avoir refoulé mes sautillements, je ne vois pas pourquoi je continuerais à renier ma vraie nature sautillante). C’est donc sur «Comment je suis devenu un écrivain célèbre» de Steve Hely que le hasard s’est porté. Et nom d’une bouquino-boulémique que le hasard fait bien les choses.

Ce livre est d’une drôlerie absolue. Autant sur le fond que sur la forme. Le sujet tout d’abord. Pete Tarslaw, jeune homme sans ambition, raté professionnel, plutôt négligé et légèrement alcoolique, travaille dans une société chargée de réécrire les lettres de motivation de candidats à des universités prestigieuses. Dans le but d’infliger un camouflet à son ex petite amie qui a l’outrecuidance de l’inviter à son mariage, il décide de devenir un écrivain célèbre dans le temps qui le sépare des noces. C’est l’interview d’un auteur multimillionnaire, mais au talent littéraire discutable, qui lui inspire cette idée. »J’ai joué à un petit jeu consistant à essayer de deviner quels nouveaux sommets de sentimentalité et de prostitution émotionnelle il avait atteints« 

S’ensuit une étude méthodique sur les best-sellers (d’une justesse presque effrayante), pourquoi et comment en faire autant «Le succès littéraire est inversement proportionnel à la qualité littéraire de son ouvrage», cela ne peut donc qu’être très facile à réaliser. En seize règles (hilarantes), le tour de la question est fait et Pete se met au travail.

Steve Hely est d’un cynisme foudroyant, ses descriptions sans indulgence pleines d’images qui font mouche «Vous n’avez qu’à faire une recherche Google image sur son nom. Visez un peu la photo des plis de graisse qui forment des renflements et des dépressions océaniques au-dessus de son col roulé. Regardez son cou gainé d’un prépuce de chair, comme un pénis non circoncis». Le monde de l’édition passe sous la moulinette de ce jeune écrivain (il s’agit d’un premier roman), des auteurs aux critiques littéraires en passant par les lecteurs, les éditeurs, les producteurs hollywoodiens chargés des adaptations « Dans l’escroquerie littéraire, le jeu consistait à écrire des conneries et à convaincre les lecteurs que c’était de la qualité. Mais à Hollywood, le jeu consistait apparemment à dire à ses clients : « Voilà des conneries. Vous allez payer pour ça, et ça va vous plaire » ».

Au-delà de la vaste escroquerie habilement mise en œuvre par Pete Tarslaw (qui est savoureuse), Steve Hely pose toute la question de la littérature (noble, passionnée et passionnante) qui se perd au profit du livre facile d’accès, du «bankable» de plus en plus recherché par les éditeurs. Parsemant son roman d’extraits d’œuvres fictives pour mieux illustrer son propos, de citations d’auteurs imaginaires, il parvient à nous livrer un ouvrage désopilant (il y a longtemps que je n’avais eu de tels fou-rires solitaires) et profond, servi par une écriture moderne (parfois crue) et légère mais non dénuée de soin.

Et si le Washington Post a eu l’apologétique questionnement suivant : « Peut-être avons-nous lu un livre plus drôle ces vingt dernières années, mais nous serions incapables pour l’instant de vous dire lequel ! », je ne suis pas loin de le reprendre à mon compte…

« Conchito » de Pascal Juan

L'histoire d'un homme de ménage nu

Si j’en crois mes statistiques, malgré tous mes efforts et cinquante-cinq « billets », « Homme de ménage nu » reste l’article qui me vaut le plus de visites, et je ne vous parle pas des commentaires, j’ai à mon actif tout un annuaire. Ecrit il y a déjà presque quatre ans, il soulève encore régulièrement des réactions tantôt amusées, tantôt étonnées et souvent intéressées.

Il y a quelques mois Sébastien commentant l’article en passant, m’a parlé du roman de Pascal Juan : « Conchito » dont le sujet était justement celui qui m’attire tant de commentaires ! Il n’en fallait pas plus pour que ma curiosité soit piquée, et me voilà farfouillant sur La Toile pour dénicher l’ouvrage et le commander. Toute ébaudie par cette trouvaille, pensez bien que je ne me suis pas arrêtée en si bon chemin et me suis empressée de contacter l’auteur par le truchement des Éditions Presque Lune. Je fus agréablement surprise par sa réponse presque  instantanée, m’attendant à un petit mot rapide de la secrétaire de cette maison d’éditions, Pascal Juan a pris le temps d’échanger directement avec une petite fouine… Il ne connaissait pas l’article et s’en est beaucoup amusé, à son tour surpris par vos nombreux commentaires, et semblant presque regretter de ne pas en avoir pris connaissance avant l’écriture de son roman.

Mais revenons-en à son roman justement. Dès les extraits trouvés sur Internet, j’ai été persuadée que je serai conquise, j’ai donc interrompu ma lecture en cours (« Le jeu de l’ange » de Carlos Ruiz Zafon, qui semble aussi prometteur) pour y plonger tout entiers mes yeux, telle la serpillière dans le seau de l’homme de ménage nu qu’est le héros, « Conchito ». L’écriture est soignée et limpide, je me suis régalée d’y trouver disséminés au fil des pages des mots rarement usités, des métaphores drolatiques, un ton ironique, une histoire bien ficelée (dont vous trouverez ici le résumé et un extrait, suffit de cliquer sur « feuilleter », c’est pas bien compliqué).

Un livre aux airs légers, mais sans la chanson. Il n’est en effet pas dénué d’une dimension psychologique interpellante (et ceux qui ont lu mes nouvelles, ou me lisent ici régulièrement, savent combien les tromperies que le cerveau peut nous infliger me fascinent) qui s’insinue peu à peu jusqu’à pousser des coudes la jovialité ambiante mais sans pour autant l’anéantir.

Alors merci Sébastien pour ce conseil de lecture, et merci Pascal Juan pour ce très bon moment en compagnie de Conchito, pour les rires, les sourires et les questionnements qu’il a suscités lors de ma lecture. Et surtout, Pascal (je me permets ce petit acte d’intimité), continuez et prévenez-moi lorsque vous serez à nouveau publié !

Un coup de cul dans l’eau

en secouant quelques arbres, jai tout de même ramassé quelques pommes

Si être publiée est une expérience riche en patates, la suite de l’aventure est un gratin dauphinois oublié dans le four, et je m’en vais vous en conter la recette…

Il n’est en effet pas aisé de promouvoir ses écrits, fussent-ils édités par le truchement d’une maison d’éditions, et votre Vilaine en fait l’expérience à la fois enrichissante et quelque peu désappointante. Car le lecteur est frileux et se dirige l’œil fermé et l’instinct annihilé droit vers les conseils médiatisés, or, le média, tout coincé qu’il est par les budgets publicitaires, se doit de promouvoir sans risque pour attirer le chaland et présente donc des auteurs déjà médiatisés. Et voilà comment le livre se mord la couverture !

Peut-être aurais-je du passer par une émission de téléréalité, écrire sur un sujet d’actualité, surfer sur les vagues du scandaleux, dessiner les courbes d’un régime douteux, diffuser des auto-portraits sulfureux, et mettre ainsi toutes les chances de mon côté pour offrir à mes nouvelles un brin de notoriété. Non, fidèle compagnon de ma Toile de déraison, telle n’est pas ma nature, ce n’est pas la gloriole qui me meut, mais bien la passion ! Alors, j’ai remisé les décolletés outrageux au placard et rejeté le buzz au profit des petites histoires qui m’animent.

Seulement voilà, quand on a écrit, c’est un peu idiot, allez savoir pourquoi, mais une envie d’être lue trotte-menu malgré tout dans un coin de la tête, tant et si bien, que même si l’on se contre-fout de la renommée, on finit immanquablement par chercher à faire tomber les fortifs des médias et des librairies qui ne nous distribuent pas. Et votre Vilaine ne serait pas ainsi nommée, si elle n’était pas quelque peu prête à faire sa radeuse, au moins pour ce en quoi elle croit… Alors, elle tente, elle toque à des portes avec toute sa naïveté, elle gratouille les flancs des gens qu’elle aime bien, elle s’enfonce dans les girons des bonnes publications, en se chantant que sera, sera…

Oui, contre vents et marées, j’ai entrepris d’user et d’abuser et de proposer l’envoi de cet ouvrage aux libraires que j’estime, aux journalistes que j’admire, du plus petit au plus gros rien n’arrêtera mon culot ne fut-il au final qu’un coup de cul dans l’eau !

(Et si vous êtes sages, je vous raconterai dans un prochain billet, qu’en secouant quelques arbres, j’ai tout de même ramassé quelques pommes…)

François Nourissier : A défaut de s’aimer

 

François Nourissier

Ce matin en lisant la presse, comme beaucoup, j’ai appris la disparition de François Nourissier. Il est rare que le décès d’un écrivain, d’un homme de lettres, m’amène à écrire un article sur mon blog sans doute parce que j’estime n’avoir aucune légitimité à le faire, d’autres s’en chargeant bien mieux, avec bien plus de connaissances.

Cependant cette triste nouvelle a immédiatement évoqué en moi le souvenir d’une lecture « A défaut de génie » qui m’a profondément émue.

Dans ce livre autobiographique, courageux, fort, François Nourissier couchait ses mémoires dans le glissement de ses pensées, sans réelle chronologie et surtout sans la moindre complaisance. Il se critiquait durement, remettait en cause ses choix, sa vie, jusqu’à son physique, tout en décrivant avec une profonde tendresse les êtres qui comptaient le plus pour lui.

Je me souviens d’avoir aimé me perdre, d’avoir souhaité qu’il continue de me perdre, dans le labyrinthe de ses souvenirs. Je me souviens des femmes, des portraits touchants qu’il en faisait, des sourires que je sentais s’étirer sur mon visage.

Je me souviens  de sa tristesse transpirant sur le papier et qui me gagnait, qui s’insinuait en moi au fil des pages, d’un homme qui se retourne, regarde sa vie et se déçoit amèrement, n’appelant, dans le box des accusés de ce procès à charge, personne d’autre que lui-même.

Je me souviens de mes larmes retenues, de ma révolte, de ce cri intérieur qui aurait voulu l’atteindre pour qu’il entende qu’un homme capable de se juger aussi durement ne peut être aussi mauvais qu’il le prétend.

Je me souviens de la résonance de ses mots dans tout mon être, face à cette terrible séance d’autoflagellation, face à cet homme qui estimait ne pas mériter l’amour de son entourage, ne se voyant plus que comme un vieillard sénile et malodorant qu’il aurait convenu d’abandonner.

Je me souviens avoir maintes fois éprouvé le désir, l’envie, le besoin même, de lui écrire tout au long de cette lecture. Lui écrire naïvement : « je ne vous connais pas, mais moi je vous aime » pour le détromper. Lui écrire que si apprendre à aimer l’autre dans son entièreté, avec ses défauts et ses qualités n’est pas toujours aisé, il est bien plus difficile d’apprendre à s’aimer soi et d’accepter ses faiblesses comme autant de petites parties de son être, pas toujours heureuses certes, mais sans lesquelles nous ne serions sans doute pas tout le reste…

Qu’à défaut de s’aimer, il est possible de s’accepter.