J’ai pris tout mon temps

Photo par La Vilaine

J’ai pris tout mon temps, ouvert les fenêtres pour changer ton air, fait couler un café pour que l’odeur d’arabica parfume ta journée. J’ai déjeuné sur la terrasse qui, à mesure que l’automne avance, prend des airs de tapis mordoré, m’en suis moquée, n’ai pas cherché à la balayer. J’ai regardé la montagne disparaître sous la brume, respiré l’air chargé d’humidité, observé les gouttelettes de brouillard danser sur la rambarde.

J’ai pris tout mon temps. J’ai fait couler un bain brûlant, salué l’étrangère dans le miroir, noyé mon corps dans la baignoire, perdu l’ouïe quelques instants. J’ai gommé ma peau fatiguée, l’ai rincée de sa nuit d’insomnie, l’ai hydratée et parfumée pour  tromper ton ennui.

J’ai grimpé les escaliers sur la pointe des pieds, en prenant garde de ne pas les faire grincer, me suis glissée sous les draps, collée contre toi, j’ai respiré tes rêves sans bruit pour ne pas briser ta nuit. J’ai pris tout mon temps.

J’ai laissé s’écouler la matinée, sans chercher à la retenir, sans tenter de la remplir. J’ai refermé les fenêtres, allumé un feu pour que tu n’aies pas froid, cuisiné sur un air d’opéra.

Je vous ai regardé vous lever, amusée, toi et ta mine renfrognée, tes yeux mouillés de sommeil, je n’ai pas bougé, je t’ai observé à la dérobée. Je n’ai pas dit un mot, préservant la douceur de ce jour de repos, goûtant les silences, nous protégeant de toute contrariété.

J’ai choisi mon fauteuil, y ai invité les chiens, l’ai rapproché du feu, ouvert un bouquin, me suis servi un verre de vin. J’ai pris tout mon temps, me suis enveloppée dans la simplicité : toi, un feu de cheminée, La Traviata et Véronique Ovaldé.

le goût des choses simples

Vilain au coin du feu par La Vilaine

Ce matin en sortant timidement une jambe de dessous ma couette afin de prendre pied avec la dure réalité de l’éveil, les yeux encore fermés, les couvertures sur la bouche pour éviter toute protestation bien justifiée d’un corps et d’un esprit intermittents du sommeil, la froidure ambiante a immédiatement fait retentir en mon cervelet le signal d’alarme tonitruant d’un grain de sable dans les rouages d’un dimanche paisible.

Fonçant droit dans la salle de bain (enfin un peu de travers à dire vrai, la renaissance des sens prenant chez moi un temps certain et dépendant grandement d’une douche chaude et de l’engloutissement d’un café ) je n’ai pu que constater avec désarroi que l’eau n’était pas plus chaude que les radiateurs. Panne de gaz, panne de bonne humeur matinale…

Après avoir trifouillé et tenté les raccommodages usuels sur la chaudière à Bac plus dix, je ne pus que me rendre à la triste évidence : il n’y aura point de confort en ma demeure en ce dimanche glacial. Si je gardai un air digne et peu déçu face au monde, dans ma petite tête, trépignements et crise de larmes enfantins se jouaient la part belle et je jalousai à part moi, cet âge béni où l’on peut laisser éclater les émotions les plus démesurées.

Une fois mon café salvateur avalé, je fis contre mauvaise fortune bon coeur et remplis les plus grandes casseroles de ma batterie, afin de les chauffer sur mes plaques, qui Ô joie de la technologie sont vitrocéramiques et non de ces petits brûleurs à gaz qui seraient eux aussi restés désespérément froids. Une douche à l’ancienne en somme et me voilà revigorée par le renversement d’une grande bassine chaude sur mon corps transi, réchauffement climatique de ma petite personne, de courte durée mais apprécié.

S’habiller en vitesse (ne surtout pas traîner dans la salle de glace) et faire un feu dans la grande salle, des objectifs simples, d’un temps ancestral se firent miens en cette journée dominicale. Prendre un plaid, un livre et mes chiens, se lover dans le coton de mon canapé, collés/serrés tous les trois, s’échangeant la chaleur animale en attendant que la cheminée donne tout de sa puissance. Et toute la journée, veiller sur le feu comme mes plus lointains ancêtres le faisaient, ne surtout pas le laisser s’éteindre, tourner et retourner les bûches, user du tisonnier. Et là, à ce moment précis, se réjouir de ces grains de sable dans les rouages de mon dimanche paisible, parce que la journée en est transformée en petits plaisirs simples, en communion avec la nuit des temps : aimer et protéger le feu pour qu’il m’aime et me protège en retour.

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