Grève SNCF, La Vilaine immergée.

Il est 18h40, je pointe mes petits petons gare Saint-Lazare, mon nez en l’air prête à flairer l’hypothétique train dans lequel je pourrais hypothétiquement monter en jouant des coudes pour, folle idée, rentrer chez moi. Je suis bien préparée par les grèves précédentes, même si celle-ci traîne en longueur, je connais les règles du jeu : se faire petite (facile), se faufiler, se glisser, laisser sa part humaine devant les escalators pour mieux supporter l’animalité ambiante, le chacun pour soi. Car il n’est pas beau à voir l’usager privé de train, il écrase les femmes enceintes, pousse les grand-mères et les malvoyants. Bien sûr parmi ces loups, quelques agneaux encore aptes à regarder autour d’eux et à prêter leur main à la victime d’un malaise, mais plus la grève dure et plus ils se raréfient.

Gare Saint-Lazare infographie par La Vilaine

Gare Saint-Lazare infographie par La Vilaine

Mais revenons à ce soir 18h40 gare Saint-Lazare. Un brouhaha hors du commun parvient à mes oreilles avant même que je puisse apercevoir le haut des escaliers. De mon pas pressé, j’avale goulûment la distance qui me sépare de la salle des pas perdus pour gagner le passage vers les quais 9 à 14, je relève la tête pour apercevoir une marée humaine stagnante, impossible de se faufiler, les pompiers débordés, les rares agents SNCF chargés d’aiguiller le passager perdu ont des airs de lapin terrorisé.

Je me colle contre le mur, je tente de m’y fondre, je rêve de passe muraille pour ne pas être piétinée par la foule qui cherche à s’échapper de la gare, défilent devant moi des gens en larmes, des femmes au visage violacé cherchant leur air, en proie à des crises de nerfs, j’entends des hurlements venant de la place devant les quais, des hurlements qui montent de plus en plus désespérés, les pompiers tentent de s’approcher mais en vain.

Je ris, oui, je ris, nerveusement, bêtement, comme une poule caquette par réflexe, incrédule que je suis face à ce spectacle qui semble si peu approprié à une simple grève. Je m’inquiète, je pense aux militaires qui déambulent quotidiennement dans la gare mitraillette au poing, n’est-ce pas dangereux avec ce tohu-bohu et cet affolement général ? Je décide de faire demi-tour, aller boire un verre et laisser couler une heure loin de ce chahut, revenir dans un moment plus calme. Mais non, impossible d’exécuter le moindre mouvement, je suis coincée…

Et puis deux visages souriants, deux femmes à mes côtés, attendant le même train m’entraînent vers le quai 9, il y a un passage sur la gauche, vite, vite nous nous faufilons, j’entraîne à mon tour une dame âgée et paniquée souhaitant sauter dans n’importe quel train qui l’emmène loin de Saint-Lazare. Nous voyagerons debout après 30 minutes, le train partira bondé, les voyageurs silencieux, éberlués. Certains se moqueront de ces usagers qui expriment leur ras-le-bol, d’autres iront jusqu’à les mépriser, les taxer d’égoïstes pour avoir osé se plaindre, ils diront que le journal de Jean-Pierre Pernault leur a lavé le cerveau, non, cela n’a rien de politique, non cela n’a rien d’une lobotomie, est-ce égoïste que de penser à ces hommes et ces femmes qui auront fait un malaise cardiaque, vagal ou nerveux ce soir ?

Share

Thierry Jonquet ou les découvertes des dîners Mille-Feuilles

J’ai rencontré Thierry JONQUET lors d’un dîner Mille-Feuilles. Qu’est-ce donc que cela ? vous demandez-vous la bouche ouverte et l’œil vitreux. Les dîners Mille-Feuilles sont des soirées littéraires créées en 1998 par un passionné de littérature nommé Frédéric FREDJ. Une fois par mois, au restaurant CANDIDE dans le 11ème, des auteurs et leurs éditeurs viennent présenter leur livre lors d’une soirée thématique. Le libraire de L’ALINEA met également à disposition les ouvrages dont il est question, afin que nous puissions, si par malheur nous ne connaissions pas les écrivains avant de venir, faire l’acquisition des ouvrages concernés mais aussi des précédents. S’ensuit un dîner en leur présence, avec en dessert l’inévitable mille-feuille.

Ces soirées sont riches en discussion, les auteurs ouverts aux questions, parfois un peu mal à l’aise mais toujours très disponibles.

Je suis plus qu’admirative du travail effectué par Frédéric FEDJ, car sachons-le, cet homme a un vrai travail, en rien littéraire, et consacre donc un temps non compté à la préparation de telles soirées. Grâce à lui j’ai découvert et lu des auteurs vers lesquels je ne serais sans doute pas allée : Léon WERTH, anti-militariste qui écrivit notamment sur les tranchées de 14-18 (« Clavel soldat ») ou sur l’exode des parisiens en 1940 (« 33 jours »), qui n’était guère présent lors de la thématique qui lui était consacrée, et pour cause, il est décédé en 1955 ; Pierre BERGOUNIOUX dont l’érudition et les talents d’orateur m’ont bouleversée et poussée à acquérir immédiatement « Carnets de notes » ; et enfin, donc dernièrement Thierry JONQUET.

MolochJe ne suis pas fanatique des polars à l’exception de rares auteurs (James Ellroy), mais le plaisir des soirées Mille-Feuilles est tel que je ne regarde que peu le thème abordé, juste mon agenda pour en viser la disponibilité. Thierry JONQUET était donc l’un des trois invités d’une thématique « romans noirs » et venait présenter « Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte » son dernier opus. La genèse de ce roman est en elle-même intéressante ; un an avant les émeutes qui secouèrent les banlieues, cet ancien professeur d’établissement spécialisé, alla voir son éditeur pour lui parler de sa nouvelle idée, un livre sur l’explosion des banlieues, insistant sur le fait, que ça finirait par péter. Il le savait, vivant avec ces gamins désespérés, leur enseignant depuis des années, il s’étonnait même que cela n’ait pas encore pété. Et puis après avoir adressé les premiers feuillets au Seuil, il reçoit un appel de son éditeur qui lui demande de mettre LCI car son roman est aux infos ! Les émeutes ont commencé… Cet auteur a donc achevé son écriture alors même que la réalité rejoignait sa fiction.

J’ai acheté ce titre, par curiosité. En le feuilletant sous le regard du fournisseur officiel de nos dîners, j’ai remarqué qu’il avait aussi amené « Moloch » un livre plus ancien de ce même écrivain. Comme toujours, je n’ai pu me résigner à choisir, et suis repartie avec les deux. Je viens d’achever « Moloch », polar très noir, que j’ai dévoré en quelques jours, malgré une semaine horriblement chargée. Construit et découpé de manière très habile, à chaque chapitre sa partie du puzzle, puzzle dont les pièces s’embriquent peu à peu, tant et si bien que l’on ne peut que se presser de terminer l’un pour connaître la suite de l’autre. Je n’avais eu cette sensation d’urgence que dans un autre livre construit de façon similaire : « L’échiquier du mal » de Dann Simmons. J’adorerais en exposer un peu plus, mais ce serait vous priver de la découverte de son intrigue, dont même les victimes ne sont révélées que tardivement.

Share