Se souvenir des petites choses

On vit dans le souvenir des grands événements et dans l’attente des suivants.

On vit dans le souvenir des grands événements et dans l’attente des suivants, oubliant que ce sont les moments anodins, les petits riens du quotidien qui en sont les ponts, qui en font le chemin.

Que ce sont ceux-là qu’il convient de soigner, d’entretenir et de provoquer, et de savourer.

Nourrir les riens du quotidien, les joies minuscules, les bonheurs lilliputiens, lesquels, à force de grandir, à force de fleurir, de se cumuler, de s’amonceler, en viendront à nous dépasser et sans même que l’on n’y prête la moindre attention, permettront aux grands d’advenir.

Le beau, le grand, il faut aller le chercher dans l’infinitésimal, dans le discret, c’est là qu’il est caché.

Et dans les moments compliqués, se souvenir de ce qui fut, de ce qui sera sans perdre de vue ce qui est, là, à portée.

Faire que son herbe soit plus verte qu’ailleurs en l’enrichissant de son amour jour après jour, en conservant son regard premier, celui encore emprunt de sa naïve découverte.

On vit dans le souvenir des grands événements et dans l’attente des suivants, oubliant que ce sont les moments anodins, les petits riens du quotidien qui en sont les ponts, qui en font le chemin.

Parce que ce qu’il subsistera, à la fin, au moment de se retourner une toute dernière fois sur sa vie et son passé, ce qu’il y aura, à la fin, ce sera avant tout, surtout, par dessus tout, les souvenirs d’une vie construite sur le quotidien.

La fin des Grand-mères

J’ai délaissé un temps ce blog, ne trouvant plus en moi la force d’écrire. J’ai pourtant continué ma petite vie, j’ai travaillé, j’ai beaucoup lu, des livres qui auraient mérité un article, mais les mots ne se formaient que trop confusément pour être jetés sur ce papier virtuel.

Et puis j’ai hésité, ne voulant pas transformer cet endroit en impudeur et bien que l’envie me taraude, je ne voulais pas m’épancher ici. Enfin, j’ai compris, petite illumination dans mon cervelet, que si je n’écrivais pas sur cette douleur, je ne serai plus capable de tapoter sur mon clavier.

Ils me l’ont prise, enlevée, emmenée. Je n’ai plus de grand-mère. Je ne rirai plus avec elle, je ne partagerai plus mes lectures, je ne lui enverrai plus les photos de mon chien qui l’amusaient tant. En attendant ce terrible appel, je n’ai cherché qu’à me raccrocher à la normalité, je me suis saoulée de travail, d’inutile, incapable de rester sans bouger. Nombreux allers-retours à l’hôpital, discussions à bâtons rompus avec cette femme extraordinaire, qui aura jusqu’au bout tout donné, même lorsque toute force l’avait abandonnée au point que la parole ne pouvait plus trouver le chemin de sa bouche, simplement, en souriant doucement pour rassurer les siens, ses yeux remplis d’amour.

mamyAvec sa disparition, je réalise que toute une ère s’enfuit. Celle des grand-mères aux conseils avisés, à l’amour sacrificiel, aux recettes naturelles, aux jardins de roses non traitées. Pour preuve, des éditeurs nous proposent déjà des recueils de « Recettes de Grand-mères » (« Mes remèdes de Grand-mères » aux Editions Minerva), nos mères ne veulent guère être nommées « mamy » par leurs petits-enfants, la génération lifting se refuse à s’entendre vieillir dans la bouche des enfants et s’invente de ravissants surnoms qui n’évoquent pas la grand-mère au chignon blanc. Les nouvelles grand-mères ne tricotent pas de layettes, ne préparent pas de confitures, n’ont pas la recette de la liqueur d’estragon. Elles ne parlent pas des 60 ans de mariage avec grand-père, mais de leur troisième mari (ou amant), elles regardent le bulletin météorologique télévisé plutôt que les hirondelles pour s’habiller.

Oui c’en est fini des vraies grand-mères, puissé-je conserver précieusement toutes les paroles et tous les adages que les miennes m’ont transmis, chanceuse que je suis de les avoir côtoyées et aimées si longtemps…

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