Tous nos petits morceaux – Emmanuelle Urien

Tous nos petits morceaux - Editions d'Un Noir Si Bleu

«Ce livre devrait vous plaire», m’avaient écrit les agents-littéraires.fr en introduction à leur nouvelle proposition. A la lecture du résumé, je ne pouvais qu’à mon tour le parier, même si, sans en lire quelques pages pour en goûter le style, il était difficile d’en être tout à fait sûre.

La première nouvelle de ce recueil sur la thématique des miroirs, nous plante le décor des suivantes : une collectionneuse, s’amourache de ces objets reflets de nos doutes, de nos rêves, de tous nos morceaux de vie, s’ensuit un dialogue entre chacun d’eux, des bribes d’histoires de leurs propriétaires qui seront développées dans les nouvelles suivantes, pour finir par un dernier prisme nous renvoyant au tout premier. Et le miroir se mire à son tour.

Si ces nouvelles traitent de l’image de soi et peuvent prêter à sourire (ou nous permettre une distanciation salutaire) sur ce que chacun reconnaîtra de sa propre relation parfois torturée avec son reflet, les glaces d’Emmanuelle Urien ne font pas que réfléchir la reproduction exacte ou non de celui qui s’y regarde, elles réfléchissent aussi les âmes, les noirceurs intérieures, les travers plus ou moins graves de l’humain. Elle alterne morbidité poétique et sensualité pudique, nous réchauffe ou nous angoisse, les métaphores sont nombreuses, transformant le miroir en témoin muet, en amant rougissant, en rival déterminé, en compagnon fidèle.

Emmanuelle Urien a une écriture légère mais étudiée, et j’ai très vite apprécié la petite musique qui se dégage de la construction de ses phrases. Armée de mon stylo, j’ai commencé, comme je le fais toujours, à souligner les passages que je souhaitais retenir et partager avec vous (puisqu’il m’est permis de vous livrer des extraits) et en achevant ma lecture, je me suis trouvée bien embarrassée : du rouge, sinon partout, du moins en de si nombreux endroits que j’ai eu bien du mal à faire mon choix ! Car l’auteur a le sens de la formule, tantôt humoristique, tantôt touchant au coeur, des petites phrases pleines de sens, qui sonnent comme de belles évidences.

De l’adolescente complexée à la femme vieillissante, de l’écrivain raté au nouveau-né, les destins s’impriment sur les vitres de cette galerie des glaces, et lorsque la buée est dissipée, restent dessinées, du bout du doigt, les traces de la complexité de notre humanité.

Extrait : «C’est très simple : un jour prochain ils seront là, exactement comme aujourd’hui, sauf qu’ils feront un peu moins attention, parce qu’ils croiront mieux se connaître et penseront le danger écarté. Et leurs doigts se toucheront, presque par accident. Ce jour-là, tu peux être certain que nous ne les reverrons plus. Ils bousculeront la table et partiront très vite, peut-être sans payer. Il leur sera impossible d’attendre, surtout ici, dans le brouhaha et l’odeur du mauvais anis.»

«Albert n’est pourtant pas homme à posséder un chien, il trouverait moyen d’en faire son maître.»

«Elle persiste à lutter contre ce corps qu’elle s’invente, contre une image qui n’est pas la sienne mais reste imprimée sur ses rétines, quel que soit le reflet qu’elle contemple.»

« Tous nos petits morceaux » d’Emmanuelle Urien – Éditions d’Un Noir si Bleu.

Critique à retrouver sur le site des agents-littéraires.fr : ici

Vive les cons !

On se plaint sans cesse d’être entourés de cons. On râle, on s’insurge, on rêve d’éliminer les cons. Mais pense-t-on seulement à ce que serait un monde sans con ? Oui sans doute, mais en pratique ? Serait-ce viable ?

Projetons-nous dans ce monde imaginaire où chaque individu serait doué d’une grande intelligence, car forcément, il me faut pousser mon raisonnement dans l’extrême, si on éliminait les cons, sachant qu’on est tous un peu le con de quelqu’un, ne resteraient que les gens dotés d’une très grande intelligence. Il est certain que le quotidien serait bien agréable, les conversations enchanteresses, les malentendus inexistants. Chacun aurait sa chance de gravir l’échelle sociale, car qui dit intelligence, dit aussi tolérance, ségrégation nulle. Voilà pour le positif d’une telle utopie.

Clipart from Clipartheaven.com

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Mais si l’humanité entière était à intelligence égale, le marché de l’emploi ne s’en trouverait-il pas totalement modifié ? Des professions entières seraient prises d’assaut, d’autres totalement délaissées. Si l’on se fie aux questionnaires scolaires de début d’année, aucun enfant n’inscrit « plus tard je veux travailler à la chaîne », mais plutôt je veux être médecin, vétérinaire, avocat, pompier, voire maître du monde (si, si, je l’ai lu). Et puisque chacun aurait les moyens de ses ambitions, alors quoi ? Nous vivrions dans un monde de médecins ? Des cabinets vétérinaires à tous les coins de rue ? 150 candidats aux élections ?

Et si l’intelligence était totalement généralisée, serions-nous encore capables de simplicité ? Avec des millions d’esprits philosophes, sociologues, chaque bricole serait regardée à la loupe, interprétée, codifiée. Toute chose devrait avoir du sens et qui sait, serait jugée superflue et par conséquent éliminée dès lors qu’elle en serait dépourvue ? Pourrait-on encore laisser de la place à la spontanéité ?

J’ai beau me retourner le cervelet dans tous les sens, je n’en retire que des sueurs froides et ne parviens à voir qu’un monde lisse, ennuyeux et peut-être même dangereux. Alors, voilà, je promets, je jure, de ne plus penser à éliminer les cons…

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