Alors même que je vaque tranquillement à des occupations aussi passionnantes et vitales que le visionnage d’une ânerie à la télévision, on sonne à ma porte. Étonnant, je n’attendais personne en particulier et ai suffisamment averti mes connaissances de mon peu de goût pour les surprises et les visites à l’improviste.
Bon gré, mal gré, je me dirige en traînant du chausson vers l’entrée et commets l’erreur fatale d’ouvrir prestement la porte sans avoir pris la peine de demander au préalable à l’intrus de décliner identité et mot de passe, et de se prêter à une reconnaissance vocale, digitale et morphologique.
Les yeux plissés par cette soudaine luminosité, je découvre, baigné par l’aura solaire de cette journée, un couple endimanché qui me sourit de ses soixante-quatre dents, et avance de concert un pied verni vers le pas de porte. En trois nano-secondes, j’identifie mes cauteleux venus tout exprès pour me persuader du misérabilisme de ma vie sans foi. Petit guide du sauveur à la main (que j’identifie immédiatement comme une possible « arme par destination »), ils m’informent rapidement de ma fin toute proche et des mille sévices qui m’attendent là, toute désintégrée que je vais être dans l’heure par le Diable qui, n’en doutons pas, me convoite et me surveille depuis des lustres, la bave aux lèvres, voyant en moi une âme de peccamineuse pour agrandir son cheptel le jour du jugement dernier. Heureusement qu’ils passaient par là pour me sauver !
Tout va bien jusqu’à ce que, à court d’arguments (et de patience) pour convaincre à mon tour mes sauveurs de mon manque d’intérêt pour leur gentille prédication, je tente un peu plus fermement de refermer ma porte et leur claquet, parce que, « c’est pas le tout, mais j’ai une lessive à faire, je ne suis pas croyante, vous avez une carte pour que l’on se rappelle si je veux adhérer plus tard ? » C’est à ce moment précis, que leur visage d’angelot se pare de millier de petites rides de contrariété et que de la brebis égarée je deviens dans leur bouche la Vilaine sorcière, la marie-couche-toi-là, l’inconsciente, le suppôt supporter de Satan et de tous les diables tapis sous ma robe indécente.
Je referme (enfin claque serait plus juste) la porte sur mes nouveaux amis, sacrifiant par ce geste un orteil ou deux, et allume mon ordinateur afin de consulter les divers messages de la journée, je me perds sur quelques sites, lis quelques nouvelles et découvre avec stupeur que mes prédicateurs sont partout. Des réseaux sociaux aux commentaires des articles d’information en ligne, PARTOUT vous dis-je !
Ne me dites pas que vous ne l’avez pas remarqué ?
Bien sûr, ils ne prêchent pas tous la même parole, mais regardez bien autour de vous. Avec l’avènement des blogs et de l’accès immédiat à l’information, chacun juge l’autre avec une sévérité et une intolérance grandissantes, tout persuadé qu’il est d’avoir opté pour les seuls choix valables, qu’il s’agisse d’opinions politiques, de confessions religieuses ou de choix alimentaires, il se rengorge de « savoir mieux », se moque des autres chemins pris, vous met au pilori, parce que vous n’êtes pas comme lui. Il se glisse dans l’antre de votre ordinateur, tente de vous persuader que vous vous trompez, brandit fièrement ses vérités et ne comprend pas pourquoi vous ne vous agenouillez pas les bras en croix, en chantant halleluia !
Heureusement, mon ordinateur est un portable, je peux donc le refermer en le claquant sur leur nez…