Une fraction de seconde en absence

sur mes pas

Je suis revenue sur mes pas.

J’avais fait une promesse, celle de revenir voir les élèves qui m’avaient accueillie pour étudier « Les fleurs roses du papier peint » par effraction, pour recueillir leurs impressions une fois la lecture terminée.

Cette fois, je suis venue sans nervosité, je les connaissais (un peu) et j’étais heureuse de les retrouver.

Leur institutrice avait fait en sorte que tout le livre soit lu, à l’exception du dernier chapitre, le chapitre vingt-trois, les quelques dernières pages, les quelques derniers mots. Le dénouement, avait-elle estimé, me revenait de droit, à moi de leur livrer, à moi de leur dire, à moi de leur lire, à moi de lire leur visage, leurs yeux embués, leur bouche entrouverte.

Alors on a commencé par ça. Par la lecture du chapitre vingt-trois : « Et voir enfin les fleurs roses du papier peint ».

J’ai lu, aussi lentement que possible, j’ai scruté chacune de leurs réactions tout en lisant (relisant pour moi, redécouvrant, il y avait longtemps que je n’étais pas allée à cet endroit-là de mon roman, on évite généralement dans les lectures publiques d’évoquer la fin), ma gorge s’est serrée, parce que j’étais revenue sur mes pas, mais j’ai continué sans rien en montrer.

J’ai lu la dernière phrase et, parce que j’étais revenue sur mes pas, j’ai pris un temps pour refermer le livre, un temps court, un temps respirant.

Une fraction de seconde, j’étais revenue sur mes pas. Un an en arrière, au moment précis où j’écrivais ce chapitre vingt-trois, ces quatre derniers mots-là.

Revenue sur mes pas pendant une fraction de seconde je n’étais pas là, pas avec eux, pas dans cette salle, dans cette école en leur présence.

Une longue, une puissante fraction de seconde en absence.

Une ombre furtive posée sur le coeur, une presque transe, une fraction de seconde en absence.

Un instant furtif tête tournée, chemin examiné, vertige éprouvé, une fraction de seconde en apesanteur, des fleurs sur la peau, les yeux dans l’eau.

Et puis je suis revenue à moi, à eux et à leurs yeux à eux, pleins d’attente et de questions.

J’ai accueilli leurs mots, leurs inquiétudes face à la dystopie décrite dans mon roman et, en les écoutant, j’ai su qu’ils avaient compris que tout est entre leurs jeunes mains. Que ce sont eux qui feront que cela arrivera ou non demain.

Je suis revenue sur mes pas, une fraction de seconde en absence, et en reprenant conscience je les ai vus eux, avancer tout droit, décidés et concernés par le monde de demain, prêts à se battre comme Gilda, prêts à lutter comme Mildred, et je les ai aimés tout mon coeur, de toute mon âme pour ce combat.

 

Radio kills the video stars

On the air

Je ne t’ai pas raconté, lecteur, la journée enthousiasmante avec mes petits lecteurs par effraction et, prenant conscience de mon erreur (enfin, de mon manquement, de mon oubli, de mon manque de temps) je m’en vais de mes doigts taper sur mon clavier pour te la conter (pour les voeux de début d’année, on attendra un prochain billet).

Cette fin d’année a décidément été marquée par de bien jolis moments sur mon chemin et celui-ci en fut un.

Pour tout un tas de raisons, je n’avais pas fermé l’oeil de la nuit et, en croisant ma mine parfaitement défaite au petit matin, j’ai remercié à haute voix l’option « radio » avant de réaliser que les mouflets, eux, ne manqueraient rien de ma cerne et de ma trombine en berne. Soit, ai-je alors tenté de m’auto-persuader, ça ira dans le sens de la légende de l’écrivain torturé, il me suffira de prendre un air calme, sombre et distancié (ce que, si tu me connais un peu, doit bien te faire marrer) tout en croisant tous les doigts que j’ai (vingt en tout, pas un en moins, pas un en trop) pour que personne, je dis bien personne, ne prenne de photo.

Bref, passons mes élucubrations matineuses (passons aussi le fait que mon cerveau ayant un jukebox intégré, j’ai eu « Video kills the radio stars » dans la tête en boucle pendant 24 TRÈS LONGUES heures – ne clique pas malheureux ! ne clique pas !- ) et venons-en directement à mon arrivée dans cette école suisse où, dès l’entrée, tu sais que tu n’es pas en France ( parfois, je suis lente à la détente) et qui te donne une furieuse envie de revenir vers ta propre adolescence pour profiter de ces lieux et de la façon dont l’enseignement semble y être dispensé.

Je n’étais que nervosité à l’idée de passer la porte d’une classe remplie de pré-adolescents qui, selon leur ravissante institutrice, m’attendaient un peu (je cite) comme une rock star (tu le sens mon malaise ?) et étaient tout flippés-de-leur-race (oui, à journée avec du jeune, langage de jeune), « l’affrontement » n’était pas équilibré, douze contre une et comme je n’adore pas être la reine de la fête…

Après un temps d’observation en immersion (diable ! que cette enseignante enseigne avec passion !), de succinctes présentations (12 prénoms d’affilée à ne pas oublier ou mélanger), l’enseignante a eu cette phrase glaçante à l’intention de ses élèves : « Pour se mettre à l’aise, je vous propose de poser quelques questions à Audrey, ce qui vous passe par la tête »… Ok… Déglutition… Pour mettre à l’aise qui ?

Tu imagines, lecteur, 12 têtes alignées le long d’une grande tablée avec toi en bout de ladite table, 12 paires d’yeux qui te scrutent, observent chacun de tes petits gestes, se la grattent (la tête), réfléchissent puis lèvent le doigt la question sur la langue, la joue soudain rosie ? À l’aise…

Et puis, si… Des questions choux (sauf celle qui a entraîné des devinettes sur mon âge, hein), des gamins bourrés d’imagination et de motivation. Ensuite, tout s’est enchaîné, je leur ai lu le nouvel extrait à étudier des « Fleurs roses du papier peint » (pièce puzzle de leur enquête), j’ai vu leurs bouilles déconfites-interloquées-incrédules face à la révélation du « problème Mildred », j’ai écouté leurs théories souvent pleines de bon sens sur pourquoi, comment le livre a-t-il pu être à ce point rejeté… J’ai adoré ! Je serais restée toute une semaine avec eux (je compte d’ailleurs bien revenir les voir une fois qu’ils auront lu tout le livre).

Et puis nous avons fait un filage pour préparer l’émission de radio, j’ai été époustouflée de découvrir leur professionnalisme (certes dirigé et bien préparé par leur institutrice mais tout de même), touchée par une enfant qui, prise par le trac, a soudain sangloté, j’ai été enchantée par la chaleureuse équipe de radio, l’accueil plus qu’agréable de l’équipe enseignante (Direction incluse) je n’en avais plus rien à faire que qui que ce soit prenne une photo, j’étais bien.

Et l’enregistrement dans les conditions du direct m’a encore plus épatée, toutes les petites imperfections du filage se sont envolées, mes petits lecteurs ont été portés par leur propre plaisir, ils ont (comme on dit quand on est jeune, frais et spontané) assuré-leur-race (encore bravo !) !

Alors, si tu veux écouter cette belle émission, entièrement réalisée par les enfants (jingle à la Robins des Bois ou à la Poulpe – selon tes (p)références- inclus), il te suffit de cliquer ici puis de (re)cliquer sur le dessin du poste de radio, je te préviens, ce sont de vrais pro !

Effraction

Lecture par effraction

Oui, je sais lecteur, je t’ai quelque peu abandonné à ton quotidien, au froid, à la neige et au verglas (j’espère que tu ne t’es rien foulé tandis que moi-même je ne me foulais pas) mais de ce manquement, si tu es d’accord, on en parlera ailleurs et plus tard.

Aujourd’hui je veux te causer de mon roman (« Encore ! » te dis-tu avec cet air renfrogné mais indulgent de l’enfant qui écoute sa grand-mère radoter, bah oui, « encore » mais tu vas voir, c’est intéressant). Les fleurs roses du papier peint font l’objet d’une étude de lecture par effraction dans une classe suisse.

Alors, oui, là, je vois bien, tu te dis : « Mais kessessé kessa la lecture par effraction ? » et tu as raison. Prenons une petite inspiration, déjà, que MON livre soit étudié dans une école, c’est fou, c’est épatant (terme vieilli, j’en conviens), c’est survoltant.

Mais la lecture par effraction, ça me propulse dans les nuages.

J’en ignorais tout jusqu’il y a quelques jours, jusqu’à ce que cette institutrice inspirée et inspirante me contacte pour m’expliquer son projet et obtenir mon accord. Car, dans lecture par effraction, tu es malin, tu as lu, il y a le mot « effraction » et il n’est pas là pour rien, elle souhaitait donc mon aval et je le lui ai offert avec, en sus, ma participation.

Le but est de donner le goût de la lecture aux élèves (tu avoueras que c’est fort à propos vu le sujet de mon roman) en procédant de façon ludique, comme pour la résolution d’une énigme. Pour démarrer, les élèves ignorent tout du livre, ils n’ont même pas accès à la quatrième de couverture, seul le titre leur est donné comme une minuscule pièce du puzzle. De là, ils doivent imaginer, tenter de deviner, enquêter, partager ce que ledit titre leur évoque et, conséquemment, l’histoire que le livre peut renfermer. C’est ce qu’ils viennent d’effectuer, regarde donc la photo d’illustration pour découvrir ce à quoi ils ont pensé, il y en a quelques uns qui ne sont pas bien loin…

Puis, toujours sans avoir accès au livre, des séquences du roman leur sont données, pas forcément dans l’ordre, pas forcément dans une logique de récit. Là encore, à chaque pièce de puzzle étudiée, ils doivent imaginer, chercher, deviner, réfléchir, s’interroger sur ce qu’il s’est passé ou ce qu’il va se passer.

Enfin, pour la dernière étape, l’enseignant leur fournit enfin le bouquin dans son entièreté. Autant te dire, lecteur, que comme expliqué par la radieuse institutrice, c’est pour eux un véritable os à ronger puisqu’ils verront s’ils ont eu raison ou se sont trompés, s’ils sont de bons enquêteurs ou non.

Et c’est là que le projet (déjà fort enthousiasmant) prend une belle envolée pour moi. Ces petits lecteurs de 12 ans, à l’issue de leur découverte, je m’en vais les rencontrer, ils vont m’interroger (un petit FaceTime récent nous a déjà permis de prendre contact et je te prie d’imaginer qu’une classe te saluant à grand renfort de « Bonjour Maaaaadaaaame ! » c’est impressionnant) et nous allons enregistrer une émission de radio ensemble, un podcast, toujours dans le cadre de ce programme visant à ramener les jeunes vers la lecture…

Je n’étais déjà que joie de lire les commentaires postés sur mon roman puisque, parmi eux, quelques uns ont écrit que je leur avais redonné le goût des livres, c’était l’un de mes buts premiers et je le voyais atteint pour certains. Alors autant te dire (ou t’écrire, c’est plus juste) que ce projet scolaire fait sens et que la lecture par effraction est pour moi une découverte délicieuse que j’aimerais voir appliquée partout tant il me semble que cette approche est largement meilleure que celle pratiquée dans nos collèges et lycées… À promouvoir donc !