Passage à niveau

Il y a des gens qui vous donnent de la valeur quand vous pensiez ne pas en avoir. Il y a des personnes dont la délicatesse particulière, les mots ou les gestes, vous rendent visible et précieux. 

C’était une période particulière de ma vie, une période où la douceur et la gentillesse n’en faisaient plus partie. J’avais fait l’aller-retour à Paris pour présenter mon livre au milieu de ce que je considérais être comme de Vrais Auteurs, de Grands Écrivains. J’étais partie pour 24h, laissant derrière moi reproches et peurs pour partager une soirée avec de Grands Auteurs. 

Je me souviens de son accueil chaleureux alors que j’arrivais comme un imposteur au milieu de ce dîner haut en couleurs, je me sentais aussi peu légitime et à ma place qu’une girafe s’élançant sur la glace.

Je me souviens de son verre de vin, oui, le sien, qu’il m’a donné devinant que j’en avais bien plus besoin, je me souviens de sa manière de se saisir du micro et de me le tenir pour que l’on ne voie pas que je tremblais bien trop.

Je me souviens de chacun de ses mots, de ses conseils avisés et amusés : « ne te laisse jamais prendre en photo en train de boire ou manger », je me souviens de la douceur de son regard tandis que je lisais mon extrait, de son sourire m’encourageant à ne pas m’arrêter.

Je me souviens que la première question sur mon roman, c’est lui qui l’a posée comme pour s’assurer que je ne resterai pas en rade de réponses, comme pour ouvrir mon carnet de bal et en pousser d’autres à s’y inscrire. 

Il y a des gens qui vous donnent de la valeur parce qu’ils vous portent par le cœur, parce qu’ils vous soutiennent par la douceur, des personnes tout juste rencontrées et qui font plus pour votre vie en une soirée, une nuit que ceux avec qui vous la partagez.

Il est curieux de constater que ces personnes recroisent souvent votre route lorsque vous êtes à nouveau devant le passage à niveau du doute, à observer les trains passer sans embarquer. Il a suffi aujourd’hui d’un clin d’œil, sans doute anodin de sa part, pour que tout me revienne précisément en mémoire. Un clin d’œil pour me souvenir de ma valeur. Et sans doute, comme d’autres qui m’ont portée, même brièvement, sans rien savoir de cette étrange année, ces précieux passagers n’ont pas la moindre idée, ne savent pas, tout ce que je leur dois…

Il y a des êtres faits de douceur et de délicatesse qui vous donnent de la valeur, parce qu’ils vous portent par le cœur et vous remettent à niveau au passage des trains.  

Âme mnésique

Il suffit parfois d’un rien pour qu’un souvenir nous revienne.

Il suffit d’un rien, pour certains d’une simple madeleine.

Il suffit parfois d’un rien pour qu’un souvenir revienne.

D’une simple image, puis d’une conversation autour d’icelle, pour qu’un souvenir revienne.

Et du souvenir, un enchaînement, une compréhension sur un cheminement de pensées.

Il suffit parfois d’un rien pour qu’un souvenir nous revienne et je dois le mien à Ina Draule, avec qui j’ai sympathisé lors de ma participation au Prix de la Nouvelle Érotique (dont on attend toujours les résultats, tu n’as pas raté cet épisode-là).

Il suffit parfois d’un rien pour qu’un souvenir nous revienne, là, c’était une photo qui m’a rappelé un tableau préraphaélite « Ophélia » de John Everett Millais et sur les préraphaélites nous avons alors devisé.

Ophelia de john everett millais

Je lui ai fait part de ma fascination pour ce courant pictural lorsque j’étais enfant, j’avais tout juste dix ans. J’avais affiché « Ophélia » dans ma chambre et, sur le mur le jouxtant, « L’âme de la rose » de John William Waterhouse, ma tête de lit se trouvant encadrée de ces deux oeuvres.

L’âme de la rose de John William Waterhouse

Si la fascination couplée à une forme de sidération peut s’expliquer de manière irréfragable par une forme de curiosité morbide pour « Ophélia », l’obsession pour les mains, la peau et les joues de la femme représentée dans « L’âme de la rose » est plus complexe. Je pouvais la regarder durant des heures, comme hypnotisée. J’étais captivée par les jointures si roses des mains de la femme et de ses joues. Je me disais que si je parvenais à reproduire des mains aussi belles, avec ce rose incroyable…

Mais surtout, tout ce que contenaient ces mains roses : on ressentait, juste en regardant ces mains, le froid matinal du jardin, la rosée, l’émotion de celle qui s’enivre du parfum de la rose et, par extension métaphorique (les préraphaélites ne faisaient pas dans le tableau léger), qui s’enivre de tant d’autres choses : d’interdits (avec ce mur en sus), de sensualité, de désir.

En me remémorant ces affiches collées sur les murs de ma chambre d’enfant et cette fascination pour « L’âme de la rose » avec la rose, le rose de ce corps et la sensation de rosée matinale, il ne me paraît plus si mystérieux que le titre « Les fleurs roses du papier peint » me soit venu en premier, avant même le premier mot d’un contenu, la première idée d’une histoire.

Il suffit parfois d’un rien pour qu’un souvenir nous revienne, et du souvenir et un enchaînement, une compréhension sur un cheminement de pensées. Un rien, l’âme d’une rose, une âme mnésique.

 

 

 

Le syndrome de Stendhal

Enlèvement d’une Sabine – Florence

J’ai laissé un morceau de mon coeur à Florence, sur le pas de porte de la maison de Dante.

J’ai éprouvé le syndrome de Stendhal, pas seulement sur les parvis, pas seulement dans les rues et leur dédale.

J’ai éprouvé le syndrome de Stendhal de mon sternum jusque dans mon âme, dans les infinis détails d’une pupille, d’une peau, de mots, de mes gènes qui se meuvent sautillant devant moi, hors de moi, hors ma peau.

J’ai échangé la surconsommation et l’instantané, les repas repus et photos forcées-posées, contre un rayon de soleil, une pizza en terrasse et des nuits décousues, sans sommeil.

J’ai nourri mes yeux et mon cerveau, mon coeur et ma peau, bien plus que mon estomac et j’ai reçu du temps le plus précieux des cadeaux.

J’ai vu et humé la beauté des mains et des pieds sculptés, des sourires énigmatiques et, surtout, de ceux qui m’étaient destinés, des regards auxquels il m’est impossible de m’habituer, des courbes et des élans vivants, des rires et des frôlements, des « n’importe quoi » qui sont tout pour moi.

J’ai observé des statues, des marbres devenus chair, je me suis imprégnée des promesses murmurées, des « ce n’est qu’un début », des « nous reviendrons », « il y en aura encore »..

Il n’y a pas de Noël plus doux et plus fort que celui qui nourrit le coeur et l’esprit.

La leçon

2020

Voilà, nous arrivons en fin d’année, il paraît qu’il convient de faire un bilan, juste avant le nouvel an.

Alors, même si ce n’est pas encore tout à fait terminé (paraît que les astres m’annoncent le meilleur pour la fin, z’ont intérêt à tenir promesse, je suis une enfant à l’ineffable crédulité), je peux déjà énoncer ce que cette année écoulée m’a apporté.

J’ai appris.

J’ai appris à lâcher prise, j’ai appris à faire confiance et, plus que tout, j’ai appris à avoir confiance, à ME faire confiance.

J’ai appris.

J’ai appris que tout est juste, même le plus injuste, j’ai appris que mes faiblesses sont ma plus grande force, j’ai appris combien j’avais de force.

J’ai appris.

J’ai appris que l’on pouvait tout, pour peu qu’on le veuille et que l’on reste droite dans ses bottes 35 fillette, tout, même quand ça a l’air furieusement mal barré.

J’ai appris.

J’ai appris qu’il y avait de la douceur quand on ouvrait son coeur, de l’inconfort mais tant de douceur derrière, j’ai appris à tomber les barrières.

J’ai appris.

J’ai appris la nudité du coeur, j’ai appris à accepter, accueillir et aimer mes peines et mes peurs, à leur laisser la place nécessaire pour les comprendre et les apprivoiser.

Et je le dois à tant, je le dois à ceux qui m’ont aimée comme à ceux qui m’ont détestée, je le dois à toi et tes yeux de chat qui ont forcé ma voix, je le dois à celles et ceux qui ont fait vibrer mon aura.

J’ignore ce que me réserve 2020, une année qui sonne bien, une année à la douce sonorité, à l’instant précis où je t’écris, lecteur-aux-bonnes-résolutions, je n’ai jamais tant ignoré quel en sera le chemin, si la belle envolée continuera sa destinée ou s’il faudra à nouveau me relever mais je sais que je suis prête à la vivre avec toute la confiance et la liesse des apprentissages de cette année.

Mouchez-vous

Mouchez-vous

Soyez une mouche…

C’est merveilleux une mouche.

La mouche se fait écraser par une paume de main, une tapette, un torchon, un dossier, elle chute au sol dans un froufrou désespéré, échoue, plate et anéantie, sur le lino mal fini.

Et par une ressource mystérieuse que l’on pourrait presque oser appeler « résilience » pour satisfaire à la mode du vocabulaire à tout dire et à tout faire ou pour faire plaisir à Cyrulnik, par on ne sait quelle capacité de Phoenix brachycère, elle se regonfle, littéralement, elle se regonfle, lisse brièvement ses ailes froissées-écrasées-pliées, secoue ses balanciers et repart vrombir de plus belle pour dévorer le monde et la merde dont elle le débarrasse.

C’est merveilleux une mouche… C’est finalement très inspirant…

Soyez une mouche.

Aujourd’hui

Au présent

Il y a chez moi cette sensation d’urgence, peut-être liée à mon passé, mon expérience de la vie, à mon âge et, dans le fond, on s’en fout de ce qui nourrit cette sensation d’urgence, le fait est que c’est un faix. Elle est là, elle fait que je veux profiter de chaque instant et que chaque instant qui ne peut se vivre est un instant volé, raté, comme un train que l’on a vu s’éloigner sans bouger depuis le quai, billet dans la main, billet pour lequel on n’a pas jugé utile de prendre l’assurance annulation, parce que ça alourdissait le coût du voyage, parce que l’on était sûr de ne pas le rater, parce que… ça aussi, au fond, on s’en fout.

C’est cette urgence à vivre, à profiter, qui fait que je suis contrariée chaque fois que je ne peux passer du temps avec ceux que j’aime, chaque fois que mon « voyage » est annulé, reporté, retardé. Je n’ai pas, comme certains, dans l’esprit un « on a toute la vie » ou quelque autre « bientôt ».

J’ai beau être d’un naturel joyeux (si, si), optimiste, j’ai beau avoir foi en l’univers et en la vie, j’ai beau avoir rationnellement conscience que si ça ne se fait pas, il y a une bonne raison, je sais aussi que je ne sais pas ce qu’il y aura demain, où l’on sera, si rien ne nous arrivera alors chaque fois que quelque chose ne se fait pas, j’ai la sensation que c’est « un de moins » sur une sorte d’échelle de temps qui s’en va.

Je veux profiter de chaque occasion donnée aujourd’hui, j’en profiterai demain si elles sont là aussi. Mais, tu le sais, lecteur (surtout toi, je sais que tu passeras par là et me liras) pour moi, demain n’existe pas, il n’y a qu’aujourd’hui.

Et aujourd’hui dans nos vies pleines d’obligations, de rendez-vous à la con, nous avons peu de temps de qualité ensemble, de temps à s’amignoter, de temps à partager. Chaque moment de bonheur, de joie, je veux donc le prendre avec ce qu’il a de précieux, je veux l’arracher aux imprévus, en bloquer l’agenda, en fixer l’existence, l’inscrire dans le tout de suite, parce que demain ne sera peut-être pas.

Faulkner écrivait : « Tout est présent, comprends-tu ? Aujourd’hui ne finira que demain et hier a commencé il y a dix mille ans »

Je vis aujourd’hui, je suis aujourd’hui.

 

 

 

De l’irrationalité du sentiment

Lobotomisé

Nous sommes dans une société évoluée. Super évoluée, trop évoluée.

Nous avons mis derrière nous l’instinct, la nature, l’essence même de qui nous sommes au profit du rendement, de la productivité (sujet de mon roman, notamment).

À tel point qu’il faut décortiquer à peu près tout ce qu’il nous arrive pour « avancer ». On nous demande de nous tourner sur le passé et sur tout ce qui touche à nos émotions.

On analyse, on rationalise, tout et aussi parfois un peu rien.

À tel point que l’on rationalise aussi les émotions, à grands renforts de « compréhension », on se demande constamment quelle part est touchée, ce qu’il convient de travailler pour être meilleur, moins touché, plus ancré, plus droit, bref, à nouveau « pour avancer » dans une course effrénée au mieux-être.

Je ne suis pas la dernière dans ces cheminements… Et pourtant…

Et pourtant, je m’interroge sur un point : il n’y a rien de plus irrationnel que l’amour. Si irrationnel que le lobe frontal de ton cerveau, lecteur-trituré, cesse totalement de fonctionner pendant les deux premières années de ta rencontre avec ta dulcinée-belle-en-cuisses, avec ton Roméo-bien-gaulé.

Littéralement, ton lobe frontal se met à l’arrêt. Il cesse de juger (c’est la zone qui y est tout à plein consacrée) socialement, physiquement, rationnellement à peu près deux ans. En gros, le temps de procréer…

Et toi, on te demande de rationnaliser tes besoins, tes émotions, et comme un con, tu bosses à y accéder.

As-tu idée finalement, de l’énergie que tu perds, et du temps… Et pour peu que tu sois du genre à bouillonner du cervelet jour et nuit, te voilà bien marri (et quelque peu marqué, « paupièrement » parlant).

Alors même que ton cerveau, pourtant parangon de la conception, s’évertue à te démontrer qu’il convient de te laisser porter, tu cherches à trancher un noeud on ne peut plus Gordien.

Et tu t’étonnes d’en baver ?

Je te le répète, lecteur-dévasté, il n’y a pas plus irrationnel que le sentiment amoureux. Partant de ce constat, à quel moment tes besoins, tes demandes, tes inconforts pourraient s’avérer eux-mêmes rationnels ? À aucun, si tu y réfléchis bien.

Alors, cesse de penser, cesse de juger, demande ce dont tu as besoin, cherche ce dont tu as besoin, et si ce n’est pas rationnel, si une part en toi voit bien que c’est n’importe quoi, fous-en toi.

Ce sont tes besoins, ils se doivent d’être comblés, rationnels ou pas. Puisque le sentiment ne peut être rationnel par essence même, attends juste que l’on t’aime dans ton entièreté, avec ton lobe frontal à l’arrêt et ta flamboyante irrationalité.