La vérité est dans l’étron

La girafe flotte sans grâce et sans bouée ?

J-4 avant les vingt-deuxièmes Ig Nobel et ceux qui me connaissent (moi et ma propension à me réjouir de petits riens) savent que je guette chaque année avec la ferveur de la jouvencelle attendant qu’enfin on la dépucelle, cet événement bien trop ignoré médiatiquement.

Un homme ayant le bon goût de partager avec moi l’humour potache et l’amour immodéré de l’absurdité, me fit récemment part d’un numéro de Sciences et Vie, reprenant quelques études bien senties dignes de figurer parmi les prix de cette étonnante cérémonie. N’ayant guère pu me procurer ledit numéro, j’ignore si d’aucuns furent déjà récompensés par ailleurs ou s’il s’agit de prétendants aux Oscar de la science saugrenue… Je vous vois, vous, là, devant votre écran, le regard lourd de reproches : « Comment La Vilaine, on ne vérifie pas ses sources ? Quelle légèreté ! Quelle inconséquence », certes… Mais à ma décharge, je dispose actuellement de si peu de temps pour coucher des mots sur mon écran, que lorsque l’occasion s’allie à l’inspiration, je m’engouffre sans que la gêne m’étouffe… Cela dit, promis, si je récupère ce Sciences et Vie, je vous en livre une étude approfondie à l’aide d’une Maj glissée ici (comme disent ceux qui usent de l’informatique comme d’autres ont des tics).

Mais revenons-en à nos études scientifico-absurdes. Parmi celles portées à ma connaissance, deux ont particulièrement retenu mon attention : « Si elle n’a pas pied la girafe peut flotter mais sans grâce » et « Culinairement parlant, le bousier est attiré par les étrons qui puent ». Je vous passe bien évidemment tout ce qui concerne le fait que des scientifiques puissent conduire des recherches subventionnées sur pareilles études, et l’incroyable cheminement qui a pu les y mener, celui qui connaît les Ig Nobel y étant (presque) habitué.

Pour ce qui est de la première, « la girafe qui flotte sans grâce » (je vulgarise pour le néophyte), toute mon interrogation réside dans le « sans grâce ». Comment mesurer scientifiquement la grâce ? Philosophiquement, les bacheliers sueraient déjà sur leur copie si toutefois on leur demandait de définir la grâce, mais scientifiquement ? L’affaire me semble si complexe, que je demanderais bien à mes lecteurs (ceux qui restent malgré mon manque d’assiduité, y’en a bien un ou deux…) de me fournir une dissertation sur ce sujet passionnant faute de parvenir à dénicher cette merveille d’étude (et je vous assure que j’ai cherché).

Quant à la seconde, « le bousier est attiré par les étrons qui puent », elle s’est acquise toute ma tendresse tant elle résonne à mon oreille comme l’un de ces proverbes africains lourds de sens et de vérité, et tant je vois de nombreuses occasions de servir cette assertion (et pas que lors de rendez-vous culinaires).

La métaphysique du Mou – Jean-Baptiste BOTUL

Botul crée et explore le concept de mouité

On peut s’appeler Botul et n’avoir aucun lien avec la toxine qui raffermit les chairs, ne s’intéresser qu’au mou et en créer un concept : la mouité. Toujours coincée en PPP, votre Vilaine sentait que son esprit se transformant peu à peu en une montre molle de Dali, trouverait dans la Métaphysique du Mou une forme d’écho salutaire. Parmi la pile de « To read » (pile dont la taille semblait devenir menaçante semaine après semaine), j’ai donc extrait ce curieux ouvrage pour renouer avec ma boulimie littéraire dont, par mégarde et mollesse, je m’étais éloignée.

J’aime particulièrement « la petite collection » des éditions les Mille et Une Nuits pour ce qu’elle offre toujours des œuvres originales, méconnues ou difficiles d’accès, dans un format qui lui, est on ne peut plus accessible. Des pamphlets de Swift aux essais de Schopenhauer, je me régale régulièrement de cette collection sans jamais ressentir la moindre nausée. Et une fois de plus j’ai été rassasiée par les saveurs étonnantes de Jean-Baptiste Botul, philosophe méconnu du XXème siècle, n’ayant jamais voulu publier et s’en justifiant par cette délicieuse formule : « Je n’ai pas l’angoisse de la page blanche, j’ai la terreur des pages noircies ».

C’est donc en regroupant des notes prises sur tout et n’importe quoi (ticket de train, serviettes, carnet moleskine, etc.) que ce livre a vu le jour. Et l’on se réjouit que cet auteur de tradition orale se soit tout de même assez inquiété de la transmission de ses idées pour conserver tous ces petits morceaux de papier ! « Comment peut-on transmettre un enseignement oral quand on n’a pas de disciple ? Pas d’oreilles, pas de Socrate ! Les Evangiles, c’est pas fait pour les sourds ! Je n’ai même pas une femme à la maison pour répéter mes secrets aux voisines ! (…) Mes propos philosophiques, faute de disciples, sont aussi volatiles que des arpèges aveugles d’une cornemuse occitane dans le vent de Cers, un samedi de novembre, quelque part du côté de Mouthoumet. Quel gaspillage, tout de même ».

Inspirant Sartre (« Je me repens de mes propos méprisants, ce Sartre a beaucoup de talent pour un nain ») et de Beauvoir, croisant Malraux (« Tiens donc. Nous croisons Malraux, il a la braguette ouverte »), Jean-Baptiste Botul explore le mou, utilise le concept de mouité sur la phénoménologie et teste ses idées sur toutes choses. Le tout donne un ouvrage amusant, bourré de petits aphorismes et de joyeuses expériences « Le sein est un bon paradigme pour illustrer les variations de la mouité (…) En ce qui concerne l’appréhension de la mouité (et son exploration), le geste philosophique complet (j’entends par là ; satisfaisant au réquisit d’une synthèse) est : le tripotage ».

Du fromage en passant par les seins des « petites femmes », l’ouvrage ne cesse de nous étonner et de nous amuser et l’on oublie puis on regrette que ce philosophe ne soit que fictif et donc, forcément absent des programmes scolaires, tant il rallierait à la philosophie, absolument n’importe qui !

Le livre : La métaphysique du mou de Jean-Baptiste BOTUL par Jacques Gaillard, éditions Mille et Une Nuits, 109 pages, 3,50 euros.

Invitation pour la petite fille qui parle au vent – Sébastien Fritsch

Invitation pour la petite fille qui parle au vent

C’est avec une certaine curiosité que j’ai abordé cette nouvelle proposition des agents-littéraires.fr (voir ici pour l’explication de cette nouvelle aventure). J’ai tout d’abord été quelque peu induite en erreur, n’ayant pas pris le temps de regarder la couverture pour me renseigner sur la forme (j’ai pour habitude de ne me fier ni aux quatrièmes de couverture, ni à ce que le livre veut bien dévoiler de ce qu’il renferme sur sa couverture, tant que je n’ai pas au moins parcouru quelques pages), j’ai donc cru, en lisant les deux premiers chapitres, plonger mes yeux dans un recueil de nouvelles.

Puis très rapidement, j’ai compris que les «nouvelles» s’imbriquaient les unes dans les autres, formant un roman chorale, comme peuvent l’être certains films, et déjà séduite par le style tout en finesse, les descriptions d’une précision chirurgicale, le comique teinté d’humour noir des premières situations, je me suis laissée emporter par cette forme originale.

Sébastien Fritsch nous conte de véritables morceaux de vie, s’aventurant dans un passé lointain, revenant au présent du personnage principal, s’enfonçant à nouveau dans le passé d’un autre. Car s’il y a bien un personnage principal, (Thomas, médecin légiste passionné, attaché à ses morts plus qu’aux vivants qui l’entourent), aucun des autres portraits brossés dans ce puzzle de vie ordinaire, n’est négligé. Et c’est par ce regard bienveillant posé sur tous ses protagonistes et cette forme à l’aspect chronologiquement décousu et pourtant si maîtrisé, que l’auteur accroche habilement notre attention. Chaque chapitre est une brique ajoutée à l’édifice commun de cette famille, chaque morceau du passé a sa raison d’être, si bien que l’on brûle de tourner les pages pour connaître l’avenir  de chacun des personnages.

De la crise d’adolescence au trouble d’une enfance d’orphelin ; des affres amoureuses à la bohème estudiantine, de l’imagination enfantine à celle, salvatrice, de l’adulte; la complexité des rapports humains est au coeur du récit.

J’ai été touchée par cette histoire simple, emprunte de poésie et de philosophie, de l’absence totale de haine (pas un personnage n’est mauvais et c’est assez rare pour mériter d’être souligné), du récit ordinaire des difficultés de la vie, j’ai aimé ces personnages qui ont suscité mon empathie, je me suis sentie «de la famille» et les ai quittés avec regret.

Deux extraits pour vous décider à l’acheter :

«Car, avant les pathologies liées à l’absence d’hygiène, à la dénutrition, à l’alcoolisme, au froid, il y a eu, dans sa vie, à un moment donné, une maladie impalpable. Une tumeur du sentiment d’être qui apparaît un jour, d’abord minuscule, sous la forme d’un silence, un seul petit silence que l’on croit anodin. Mais la tumeur s’étend devient solitude, prend de l’ampleur, efface les contours du monde, éloigne, détache, exile. Elle achève de tout bouffer le jour où, après avoir été abandonné de tous, on s’abandonne soi-même»

«- Laissez-moi terminer ! Mon mari n’a jamais écrit une seule ligne. Pas même une carte de vœux ou une liste de course !
– Mais c’est différent…
– Pourquoi différent ?
– La littérature est un plaisir…
– Un plaisir ? Mais mon mari n’a pas besoin de plaisir comme ça ! Il vit heureux dans une famille heureuse et ça lui suffit.»

Pour commander ce livre, que je vous recommande plus que chaleureusement, c’est ici.

Tous les hommes sont d’un ennui mortel

C’est ainsi que Simone de Beauvoir aurait pu titrer son roman « Tous les hommes sont mortels ».

Ce livre traite du mythe classique de l’immortalité et d’un homme qui accepte ce cadeau empoisonné. En racontant son histoire à Régine, une comédienne à l’ego si démesuré qui lui est impossible de supporter l’idée même de dormir (car lorsqu’elle dort les gens ont l’outrecuidance de vivre sans elle), il lui démontre l’insignifiance de son existence et nous emmène à travers les siècles d’une histoire qui n’est qu’un recommencement perpétuel.

Et c’est par ce récit assez pessimiste que Simone de Beauvoir nous expose un constat implacable : tous les hommes sont d’un ennui mortel pour qui les regarde avec les yeux du passé. Qui sommes-nous en effet pour nous croire exceptionnels ? Celui qui se targue d’avoir un talent remarquable, sait-il qu’avant lui tant d’autres s’estimaient inoubliables ?  A celle qui rêve de gloire et emploie pour y parvenir toute son énergie, sait-elle que tôt ou tard elle sera emportée à son tour par l’oubli ?

Cet ouvrage soulève mille questions philosophiques, sociologiques, politiques même, et notamment il nous rappelle qu’à l’échelle de l’histoire et de l’univers, nous ne sommes rien que des petits moucherons qui volettent, que notre vie n’est pas plus précieuse, ni plus captivante que celle d’un autre, que notre pitoyable orgueil est pourtant sans fin et qu’il nous pousse à renouveler les mêmes erreurs, à l’infini.

Ce roman est beaucoup de choses et les chemins de réflexion qu’il provoque sont multiples, mais parmi tous les parfums que ses pages ont exhalés lorsque je l’ai refermé, c’est bien le souffle de la leçon d’humilité qui s’est attardé.

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