Puisque vous insistez, je m’en vais vous parler de cette autre petite marotte totalement idiote. Une fois la nouvelle bibliothèque montée (parce qu’en effet, c’est de cela dont il s’agissait, l’ancienne craquait, vomissait, régurgitait et me suppliait depuis déjà de nombreux mois, de faire un choix « tes livres ou moi ! »), il me revenait de transférer le surpoids de la première à la seconde.
J’entreprenais cette liposuccion livresque avec un certain soulagement, il me devenait de plus en plus contraignant lorsque j’étais à la recherche d’une référence à partager, d’un auteur à retrouver, de farfouiller dans cet imbroglio littéraire, et je comptais bien plus sur la chance que sur le savoir-faire d’une quelconque technique de rangement. Même mes encyclopédies, aussi variées que vieillies, s’empoussiéraient faute d’air (et j’ai une confiance toute relative en Google et ses dictionnaires…). Très vite, je dus me rendre à l’évidence, il fallait faire des choix, décharger l’une pour surcharger l’autre aurait relevé du grand n’importe quoi.
Et lorsqu’il est question d’ouvrages, votre Vilaine souffre d’un handicap bien peu sage qui l’amène régulièrement à voir fondre ses économies en quelques secondes, pour peu qu’elle franchisse la porte d’une librairie... Après moult atermoiements, je décidai d’être sans cœur, et d’amener près de la cheminée mes auteurs les plus aimés, mes dictionnaires favoris, sans un regard pour les sacrifiés, je triai mes choisis…
Et c’est à ce moment bien défini, l’instant du tri, que je compris… Je ne déposais pas les livres sans ordre précis, je rangeais avec minutie, par ordre alphabétique, dans un balai pathologique et inconscient, chacun des écrivains qui passait entre mes mains. Et je m’en délectais… Je redécouvrais ma bibliothèque et ses secrets, faisais des piles pour la cuisine et les toilettes (Quoi ? Oui, j’ai une collection spéciale et assez géniale de livres à destination de chaque pièce de la maison, y compris des cabinets où je perds parfois un invité pendant plusieurs heures, piégé par des titres quelque peu folkloriques), nettoyais les couvertures, le tout avec une petite jouissance proche de la transe… J’y passai des heures : feuilleter, respirer, classer, retrouvai des écrits perdus (des doublons, des oubliés), je ne voyais pas le temps filer, savourais toutes ces odeurs, oubliais des rendez-vous… Quand j’en eus fini, je fis, de désespoir, la moue…
Je me serais allongée là, au milieu de mes piles, recouverte des pages les plus subtiles, caressant mon extraordinaire abécédaire, si je n’avais eu peur qu’un visiteur toquant à la porte n’évoque un problème de TOC et me déclare toquée au point de me faire interner.
Et d’affirmer que, oui, j’étais faite pour travailler dans une de ces librairies bordéliques, dans les archives magiques d’une bibliothèque nostalgique, à feuilleter, respirer, classer des ouvrages dans des sous-sols à l’air raréfié, et que jamais, ô grand jamais, je n’aurais demandé à remonter…