« Élégamment » affalée sur le sol, je surveille d’un œil morne l’enfant en pleine acquisition de sa mobilité (et si j’en crois la prodigieuse mise à sac de sa chambre, il est en très bonne voie) quand le vrombissement d’une voiture stoppant rapidement devant mon allée me sort de ma rêverie… Comme il s’agit là d’un fait rare, je tends mollement un bras, attrape le pied du fauteuil et me relève avec autant de grâce que la girafe en flottaison. Le véhicule vomit littéralement un représentant, son carnet de notes et sa sacoche, devant ma porte. Comprenant instantanément que ce moment rare de calme dans ma journée de primipare décoiffée va être interrompu de façon fort malvenue, je décide de le tourmenter, pour me venger, quel que soit ce qu’il a à me proposer.
Tout d’abord, perfide, je le laisse sonner puis attends que les chiens aient assez longtemps aboyé pour le faire douter de ma présence et lui offrir une démonstration de l’efficacité de mon alarme de maison (j’ai en effet aperçu sur le moyen de locomotion qui l’a amené jusque dans mon antre, quelques autocollants « ALARMES » « SYSTÈMES DE SÉCURITÉ » si bien que, dans ma grande perspicacité, j’ai dans l’idée qu’il va tenter de me démontrer, par A+B, la vulnérabilité de ma tranquillité). Ma sangsue bien aimée sur la hanche, j’ouvre juste la petite fenêtre de mon imposante porte en bois, me permettant ainsi de le toiser avec des airs de curé derrière son moucharabieh. Un regard pour ma hanche (ou plutôt son passager), un pour moi, un pour ma hanche, un pour moi… Il semble d’ores et déjà un peu déstabilisé : La Vilaine 1 – Le démarcheur 0. Sans jamais me départir d’un gentil sourire (c’est encore pire), je continue la partie.
« Bonjour Madame, Vous connaissez la société SECURITRUC ?
– Oui… Mais je n’ai pas de besoin, comme vous avez pu l’entendre, nous avons des alarmes efficaces.
– Hé, hé… Oui, mais quand vous n’êtes pas là ?
– Ah… Vous n’avez sans doute pas d’enfants, sans quoi vous sauriez que l’on ne s’absente pas quand on a un bébé… Jamais… PLUS jamais (ici, je dois préciser que j’ai pris un air de maman que le burn-out guette, tapi sous le canapé)…
– Oui… Mais je vous rassure tout de suite, je ne viens pas pour vous déranger maintenant, me lance-t-il avec un aplomb assez rapidement retrouvé finalement.
– Vraiment ? J’aurais pourtant juré que c’était ce que vous étiez précisément en train de faire, non ?»
Rire gêné du représentant qui se drape dans le silence… La Vilaine 2 – Le démarcheur 0
« Non, en fait, je viens car comme vous le savez, il y a eu de nombreux cambriolages dans le voisinage et…
– Non…
– Heu… Non quoi ?
– Non, je ne le sais pas. »
Il regarde son carnet… Se racle la gorge…
« Enfin, tout ça pour vous dire… » bredouille le commis voyageur. Ah ! Je savoure ma victoire dans un silence forcé (et donc douloureux) ! Le « Enfin, tout ça pour vous dire » est un peu le « Vercingetorix deditur, arma proiciuntur !» du XXIème siècle. J’attends la suite avec la sagesse de celle qui ne vend jamais la peau de l’ours (jamais, ni avant ni après l’avoir tué)… Le représentant me propose, sans conviction (aucune), de participer à une réunion d’information sur « Comment sécuriser ma maison » où l’on m’expliquera comment et pourquoi, il est si aisé de rentrer chez moi… Je décline, il y a déjà TF1 pour ça…
Aucun commis voyageur n’a été blessé.