Des idées reçues

Les correspondances comme des cadeaux

Les correspondances me fascinent, qu’il s’agisse de correspondance amicale, amoureuse, spontanée ou organisée, je suis admirative de ces échanges épistolaires et de l’effort de régularité qu’ils requièrent. D’abord parce qu’elles sont en voie de disparition, à l’heure du tout-tout-de-suite offert par Internet mais surtout parce que l’écriture, l’amour des mots, le français au sens noble n’a plus l’importance qu’il revêtait et parce qu’être homme ou femme de lettres a perdu de sa noblesse.

Les correspondances me réjouissent par leur surprise. Quand avez-vous pour la dernière fois, trouvé dans votre boîte aux lettres autre chose qu’une facture ou une missive officielle ? Vous souvenez-vous de la joie que vous aviez, enfant, en attendant le facteur, la main sur le cœur, sondant mille fois le fond de la boîte en retenant de vos doigts le battant pour y jeter un œil perçant ? Votre regard, empli d’espoir, qui étudiait chaque enveloppe, et s’assombrissait de ne pas trouver la réponse cherchée ?

Les correspondances m’émeuvent car elles sont des cadeaux. Prendre le temps de choisir ses mots, s’appliquer à former les lettres, s’avancer d’un pas léger pour poster son courrier en s’inquiétant de quand et de comment il sera reçu. Le choix du papier, de l’enveloppe parfois joliment décorée… Ce sont autant d’attentions portées au destinataire, autant de petites marques de respect qu’il est impossible, à mon sens, d’avoir dans le flot d’une conversation orale. Tentez simplement de prendre ce temps en buvant un verre avec des amis et vous lirez rapidement sur leur visage les signes de leur profond ennui, si toutefois ils n’interrompent pas tout bonnement le flux de vos pensées pour reprendre une conversation plus enlevée.

Les correspondances me ravissent et je me souviens du bonheur éprouvé lors de mes échanges avec ma grand-mère, des petits riens glissés en plus dans des enveloppes amoureusement refermées, bonheur que je retrouve par procuration lorsque je me plonge dans des ouvrages recueillant celles d’écrivains admirés. Et si « La Poste (…) décante l’illusion de nos opinions envoyées pour en faire des idées reçues »* alors je déclare sans rougir mon amour immodéré et décalé pour les idées reçues !

*Citation attribuée au philosophe fictif Jean-Baptiste Botul

Tous les hommes sont d’un ennui mortel

C’est ainsi que Simone de Beauvoir aurait pu titrer son roman « Tous les hommes sont mortels ».

Ce livre traite du mythe classique de l’immortalité et d’un homme qui accepte ce cadeau empoisonné. En racontant son histoire à Régine, une comédienne à l’ego si démesuré qui lui est impossible de supporter l’idée même de dormir (car lorsqu’elle dort les gens ont l’outrecuidance de vivre sans elle), il lui démontre l’insignifiance de son existence et nous emmène à travers les siècles d’une histoire qui n’est qu’un recommencement perpétuel.

Et c’est par ce récit assez pessimiste que Simone de Beauvoir nous expose un constat implacable : tous les hommes sont d’un ennui mortel pour qui les regarde avec les yeux du passé. Qui sommes-nous en effet pour nous croire exceptionnels ? Celui qui se targue d’avoir un talent remarquable, sait-il qu’avant lui tant d’autres s’estimaient inoubliables ?  A celle qui rêve de gloire et emploie pour y parvenir toute son énergie, sait-elle que tôt ou tard elle sera emportée à son tour par l’oubli ?

Cet ouvrage soulève mille questions philosophiques, sociologiques, politiques même, et notamment il nous rappelle qu’à l’échelle de l’histoire et de l’univers, nous ne sommes rien que des petits moucherons qui volettent, que notre vie n’est pas plus précieuse, ni plus captivante que celle d’un autre, que notre pitoyable orgueil est pourtant sans fin et qu’il nous pousse à renouveler les mêmes erreurs, à l’infini.

Ce roman est beaucoup de choses et les chemins de réflexion qu’il provoque sont multiples, mais parmi tous les parfums que ses pages ont exhalés lorsque je l’ai refermé, c’est bien le souffle de la leçon d’humilité qui s’est attardé.

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