Humains

Hier, je terminais « Chavirer » de Lola Lafon, livre avalé presque d’une traite et que je recommande, mais c’est une autre histoire. 


Donc, j’étais sous ma couette à lire en silence « Chavirer » et cette phrase  : « On finit par célébrer les mêmes valeurs que ce gouvernement que l’on conspue » a fait écho et m’a permis de comprendre ce qui me dérange dans bon nombre de commentaires sur la pandémie.

Nous en sommes à oublier que, derrière les chiffres il y a des hommes. Derrière le « petit » pourcentage de mortalité, il y a de vrais gens qui souffrent mille morts d’avoir perdu un être cher, des familles endeuillées. 

On a tant et tant été abreuvé de ces chiffres que l’on a oublié toute notre compassion, notre humanité. Nous reproduisons alors le comportement tant (et si justement) décrié de nos gouvernants avec leurs statistiques de pauvreté notamment, en disant haut et fort que ce sont les plus fragiles et, donc, que c’est négligeable.

Nous reproduisons les travers des dirigeants que l’on accuse régulièrement de ne rien faire pour les plus petits, les plus démunis, ceux qui, justement, ont le plus besoin d’être protégés. Des dirigeants que l’on accuse, comme le dit la suite de la phrase de Lola Lafon, de « célébrer (…) la force, le pouvoir, vaincre, gagner« .

Ne faisons-nous pas de même en arguant de notre système immunitaire plus fort que celui de ceux que l’on qualifie de « population à risques » et en se frottant les mains d’être bien à l’abri grâce à celui-ci ? Ne faisons-nous pas de même en nous réjouissant qu’il n’y ait « que » tel ou tel pourcentage de patients en réanimation, tel ou tel pourcentage qui y laisse sa vie ? Ne sommes-nous pas affreusement indécents ?

On a laissé notre humanité et notre compassion se noyer parmi les statistiques, endurcis par les chiffres quotidiennement serinés. Je ne m’y résous pas, peut-être est-ce cela qui me provoque une forme de colère nauséeuse quand je lis certains argumentaires sur la gestion de cette pandémie. Peut-être ai-je un côté niais, trop tendre, trop sensible, trop émotive qui m’empêche d’avoir ce détachement par la statistique. Non, moi, je vois des silhouettes, je vois des gens, je vois des larmes, et ils sont déjà bien trop nombreux devant mes yeux.

Peu importe ce que l’on pense des mesures prises, je crois que les critiquer pour ce qu’elles ont de déconnant est tout à fait compatible avec le fait de reprendre contact avec notre humanité. Derrière ces chiffres, il y a des hommes et des femmes et nous leur devons le respect, nous leur devons de ne pas estimer qu’ils sont négligeables sous prétexte que la majorité sera assez forte pour affronter.

Les chaînes de bonne conscience

© La Vilaine (photo et montage)

Je reçois régulièrement des chaînes de solidarité par courriel, je lis des statuts Facebook m’enjoignant à copier une pensée solidaire, et je suis toujours agacée par ces messages qui  atterrissent systématiquement dans ma poubelle virtuelle, sans plus de cérémonie.

Ces « chaînes de l’espoir » sont à mes yeux des chaînes de bonne conscience, un clic, deux clics, et l’on est quelqu’un de bien, quelqu’un qui pense aux plus démunis, aux plus malheureux, à ceux qui souffrent.

Ce n’est pas que je sois sans cœur, loin s’en faut. De nombreuses causes me touchent, comme beaucoup j’ai perdu des proches et plus qu’à mon tour, mais non, je ne partage pas, je ne fais pas tourner, parce que je veux que l’on agisse pas que l’on affiche… Car au final, combien de ceux qui transmettent et pensent le temps de recoller un texte impersonnel et pré-écrit par on ne sait qui, font quoi que ce soit dans la « vraie vie » ? Comme il est aisé de se reposer sur un copier-coller, pour bien dormir ça doit aider…

Ce sont les formulations qui sont terriblement dérangeantes et qui me poussent à ce billet coléreux, on cherche à culpabiliser celui qui ne s’associe pas au mouvement. Prenons l’exemple de la pensée pour les malades du cancer, que je vous cite : « Un malade du cancer n’a qu’un seul vœux pour 2011 et qu’un seul rêve, celui de guérir… je pense que 97 % des Gens ne copieront pas ceci sur leur mur, mais je pense que mes propres amis seront les 3% qui le feront au moins pour une heure, en souvenir de ceux qui en sont morts (♥) et surtout pour ceux qui le combattent de toutes leurs forces… » Alors quoi ? Si je ne copie pas ce merveilleux message sur mon mur c’est que je ne suis qu’une pourriture qui s’en tamponne de ses morts ? Qui ne pense pas à eux ? Qui se moque royalement du combat contre la maladie ? Et bien non, mes pensées pour mes disparus sont de l’ordre de l’intime et ne s’étalent pas sur un mur virtuel ou sur un mail viral.

Quant à ceux qui inscrivent dans ce type de messages « d’habitude on fait tourner des chaînes qui ne servent à rien » j’adorerais qu’ils m’expliquent en quoi celle-ci a la moindre utilité. Il doit être ravi le SDF que l’on croise chaque matin sans lui tendre la main, que l’on pense virtuellement à lui, ça doit rudement compenser sa faim et réchauffer son corps glacé…