Se souvenir des petites choses

On vit dans le souvenir des grands événements et dans l’attente des suivants.

On vit dans le souvenir des grands événements et dans l’attente des suivants, oubliant que ce sont les moments anodins, les petits riens du quotidien qui en sont les ponts, qui en font le chemin.

Que ce sont ceux-là qu’il convient de soigner, d’entretenir et de provoquer, et de savourer.

Nourrir les riens du quotidien, les joies minuscules, les bonheurs lilliputiens, lesquels, à force de grandir, à force de fleurir, de se cumuler, de s’amonceler, en viendront à nous dépasser et sans même que l’on n’y prête la moindre attention, permettront aux grands d’advenir.

Le beau, le grand, il faut aller le chercher dans l’infinitésimal, dans le discret, c’est là qu’il est caché.

Et dans les moments compliqués, se souvenir de ce qui fut, de ce qui sera sans perdre de vue ce qui est, là, à portée.

Faire que son herbe soit plus verte qu’ailleurs en l’enrichissant de son amour jour après jour, en conservant son regard premier, celui encore emprunt de sa naïve découverte.

On vit dans le souvenir des grands événements et dans l’attente des suivants, oubliant que ce sont les moments anodins, les petits riens du quotidien qui en sont les ponts, qui en font le chemin.

Parce que ce qu’il subsistera, à la fin, au moment de se retourner une toute dernière fois sur sa vie et son passé, ce qu’il y aura, à la fin, ce sera avant tout, surtout, par dessus tout, les souvenirs d’une vie construite sur le quotidien.

Caresser les abeilles…

Cet après-midi, des envies de photographie m’ont taraudée. D’un cliché à l’autre, un souvenir a déboulé. Ma grand-mère maternelle avait en son jardin rosiers et hortensias, jonquilles et tulipes. D’une main sûre et douce, elle les soignait, s’amusant de n’être pas vaccinée contre le tétanos, elle coupait les fleurs déclinantes, les soutenait d’un tuteur de bois, portait son volumineux arrosoir en d’éreintants allers-retours. Haute comme trois pommes assises, je marchais dans ses pas, imitait ses gestes, en petite gavroche citadine je rêvais d’avoir un jour un aussi joli jardin et la même main experte. Parce que je ne connaissais que peu les jardins, les insectes me terrifiaient et c’est la bouche ouverte d’admiration, que j’observais ma grand-mère cueillir ses fleurs malgré leur coeur bourdonnant d’abeilles. Remarquant mes yeux écarquillés d’enfant, elle me prit un jour la main, s’agenouilla pour être à ma petite hauteur, m’attira doucement vers les roses et se mit à chuchoter sur les ouvrières affairées. Elle me fit remarquer le duvet sur leur tête qu’elle caressa soudain d’un doigt délicat, m’invitant à faire de même afin me dit-elle, de découvrir l’extrême douceur de cette étrange fourrure. Ce fut pour moi un moment d’une grande émotion qui remisa toute crainte bien loin derrière et je sens encore sur la pulpe de mon doigt le velouté des abeilles et le baiser dont ma grand-mère me gratifia.

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