
C’est dans la boîte
Une semaine que ce même numéro s’affiche sur mon téléphone, une semaine que je ne décroche pas pensant qu’il s’agit de ce client qui veut à nouveau de mes services an après et à qui j’ai promis un devis pour la rentrée (enfin la mienne, celle d’après les jours de roulotte).
Et puis hier, à nouveau cet appel tandis que j’attends que mon coulis de tomates réduise pour le mettre en boîte. Je décroche (malheureuse !) :
« Bonjour Madame Audrey »
Ça démarre mal, vous en conviendrez. Madame Audrey, ça fait tenancière de bordel, gérante de cabaret (comme on dit pudiquement chez nos amis helvètes). Le bruit de fond derrière la voix enjouée-forcée ne m’inspire pas, ça sent le démarchage externalisé, mon coulis va brûler.
« Je suis Jérôme de chez Bouygues Telecom, je ne vous dérange pas ? »
Voilà, on y est mais comme je suis d’humeur joueuse en cette fin de journée et que je n’en suis pas à mon coup d’essai (comme tu peux le lire ici) j’adopte son ton très engagé :
« Ah ! Bonsoir Jérôme ! Si vous me dérangez ? C’est une question purement rhétorique, j’imagine ?
– Pardon ? »
Ok, soyons didactiques.
« Oui, Jérôme, vous me demandez si vous me dérangez mais vous n’attendez pas vraiment de réponse de ma part sur le sujet, n’est-ce pas ? Du moins pas forcément une réponse honnête ? »
Jérôme se tait… Ce cas de figure n’est pas dans ses jolies fiches soigneusement préparées par la direction pour contrer toutes les protestations possibles des numéros prospectés. J’en profite et lui explique avec toujours autant de douceur dans la voix :
« Parce que oui, Jérôme, forcément que vous me dérangez, évidemment que vous me dérangez ! Mais ça, vous le savez, n’est-ce pas ? Je doute que qui que ce soit vous réponde qu’il n’attendait que votre appel pour éclairer sa morne journée et que son coeur a bondi hors de sa poitrine quand il a entendu qui vous étiez. »
Jérôme étouffe un rire dans sa journée robotisée et me répond :
« Heu… Oui, je comprends… Je peux peut-être vous appeler à un autre moment ?
– Bah non, Jérôme, vous ne pouvez pas, ça ne va pas être possible, Jérôme, parce qu’à un autre moment aussi vous me dérangerez. »
Bon, là, clairement, Jérôme farfouille dans ses fiches (j’entends un bruit de bristol compulsé), il cherche comment m’harponner.
« Mais pourtant, Madame Audrey »
Ah ! Il recommence avec son appellation d’origine incontrôlée !
« J’avais une offre exclusive pour vous, Madame !
– Oh, Jérôme, comme quoi vous et moi on ne pouvait décidément pas s’entendre. Vous voyez, personnellement, je préfère largement les offres inclusives. »
Il a raccroché, non sans m’avoir poliment saluée et souhaité une bonne fin de journée.
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