Et se laisser dormir

J’ai décidé de dormir, malgré le soleil, malgré les heures qui raccourcissent, j’ai décidé de dormir.

J’ai choisi de déposer mon corps dans le canapé, de le laisser s’enfoncer et de n’en sortir qu’une fois qu’il serait reposé, les pensées triées, le cerveau rangé-nettoyé, le chemin décidé pour ne plus avoir à y revenir.

J’ai décidé de dormir puis, d’ouvrir les yeux et de regarder le soleil parcourir, heure après heure, les murs blancs de mon appartement avec cette lumière particulière aux débuts d’hiver, illuminant tantôt la bibliothèque réconfortante, tantôt le fauteuil élimé, tantôt mes idées et mes idéaux, jusqu’à ce que ce soit les phares des voitures qui dansent sur mes murs.

J’ai décidé de ne rien faire, j’ai laissé la sculpture que je voulais finir, laissé l’évier se remplir et j’ai observé le chat se toiletter, le chien se pelotonner, mes pieds s’abandonner à la moelleuse pesanteur de la langueur.

J’ai préféré dormir à marcher-courir, des heures à rien qui, lentement et doucereusement, sont devenues des heures à plein, sorte de reset nécessaire, de nettoyage des fichiers inutilisés, des programmes infectés, pour mieux redémarrer.

Et je me suis relevée, lumière entre les mains, plus prête que jamais à la laisser me guider et à la partager.

Présent !

Merci !

Tu as répondu présent, lecteur assidu, tu étais là, dans cette petite bibliothèque où l’on est rapidement à l’étroit dès que l’on est plus de trois.

Tu es venu à vingt, un chiffre qui rime avec ce que j’aime bien partager pour dire mon amitié.

Je pensais que tu m’aurais empruntée dans cette bibliothèque, alors je n’avais pas prévu de venir avec un gros stock de moi. Je pensais qu’au mieux, tu aurais déjà ton exemplaire sous le bras mais ce n’était pas le cas. Tu m’as dévalisée, tu m’as émue et dévalisée avec ton attention toute attentionnée, tes questions toutes préparées de frais (aussi frais que les chouquettes délicatement posées sur la table autour de laquelle nous avons conversé), tes regards tantôt émotionnés, tantôt amusés.

Ah tu peux te vanter, lecteur, de m’avoir prise par surprise en une seule et unique prise !

Tu étais jeune, tu étais vieux, tu as voulu les fleurs et Marie-Agnès Dupin, tu as voulu savoir laquelle j’étais, tu as vite compris que j’étais toutes et aucune à la fois, rien et personne tout comme toi, moi qui ne suis rien sans toi, sans tes yeux pour me lire, sans tes mots pour me partager, sans tes doigts pour m’agrémenter de ton avis en mode public et « virtualisé ».

et merci !

Alors laisse-moi te remercier, lecteur qui répondu présent à vingt comme si tu étais cent, laisse-moi te dire qu’ensuite j’ai dansé toute la journée seule dans mon appartement, parce que je crois que je ne m’y ferais jamais, je ne me lasserais jamais de te raconter ce que j’ai dans le coeur, dans la tête, que je ne serais jamais blasée de jacasser avec toi, jamais fatiguée de t’écouter ME raconter par ton prisme à toi.

Je te dirais bien trois mots mais je crois que c’est un peu tôt (attendons le quatrième rendez-vous, ce sera moins fou-fou) et puis, tu le sais (ou pas, d’ailleurs), j’ai ma pudeur même si elle est souvent bien planquée derrière mon air rieur.

Alors je te dis juste :

Merci…

Rendez-vous…

Parce qu’il ne faut cesser de raviver ce qui doit l’être, parce qu’il ne faut cesser d’y croire, parce que chacun de tes commentaires sur Les Fleurs Roses du Papier Peint me renverse le coeur et me donne l’élan nécessaire, je te donne rendez-vous.

Le 28 avril, je t’attends pour te présenter mon livre (parce que oui, lecteur, tu es encore quelques uns à ne pas m’avoir lue) dans la charmante bibliothèque associative de Ballaison (74).

Et, si tu m’as feuilletée, lue avec soin ou qui sait ? dévorée, au-delà de t’en féliciter, nous pourrons aussi échanger sur l’histoire, sur comment cela m’est venu, je te livrerais peut-être quelques secrets bien gardés, et tu auras ta gratouille (sur le papier, pas dans le dos, on ne se connaît pas assez) et il se pourrait même qu’on pousse le vice jusqu’à rigoler (un peu… faut pas non plus trop déconner).

Mieux qu’un rendez-vous tinder…

 

Alors viens, lecteur du coin, viens me retrouver (il y aura en plus de quoi te sustenter l’estomac en plus de ton cortex qui le sera déjà, un bon petit déjeuner, un café, des croissants…) samedi 28 au matin.

Livre sacré

Marquons

Elle est venue boire un café, discuter de mon intervention dans sa bibliothèque autour d’une boisson chaude et de chocolats…

Elle a foncé droit vers le meuble où était la correspondance de Camus et Casarès, dédaignant la tasse posée sur la table à manger. Elle m’a dit « Alors, c’est donc ça ? » et a entrepris de le feuilleter, lunettes sur le bout de son nez, l’air inspiré.

La seconde d’après, elle s’est tournée vers moi, livre (pavé) à la main et a plongé son regard dans le mien. Un regard mi-courroucé, mi-amusé. Elle a lâché le bouquin sur la table, juste à côté de sa tasse de café fumante, sans me lâcher de ses grands yeux bleu clair.

Elle a dit : « Tu cornes les pages ?! »…

J’ai souri.

« Oui, je corne les pages… »

Elle a tenté un sourcil froncé. J’ai interrompu la flexion et sa réflexion pour en ajouter : « Et tu as vu, j’annote… Je souligne, j’annote, je surligne, j’émarge et oui, je corne ».

Comme une institutrice qui cherche à sermonner gentiment sa jeune élève, elle s’est approchée de moi pour m’expliquer que non, décidément, on ne pouvait pas faire ça, qu’il fallait traiter les livres respectueusement.

Je lui ai répondu que j’aimais y replonger pour retrouver un passage, une phrase, un mot… Que parfois, que souvent, je m’en souvenais en substance mais qu’en les marquant directement dedans, je pouvais reprendre en un clin d’oeil une citation, un bouleversement dans lequel à nouveau m’envelopper pour un instant. Je lui ai raconté le plaisir de découvrir dans des livres ayant appartenus à ma grand-mère, ses annotations, de lire à travers les pages ce qui l’avait marquée et qu’elle avait, conséquemment, marqué directement dedans, combien on apprenait ainsi de bien jolies choses sur les gens.

Elle m’a dit qu’elle avait acheté un petit carnet pour épargner les pages des livres et recopier ce qui l’avait touchée dedans, elle m’a dit que je pourrais en faire autant.

Elle a bu son café et m’a à nouveau regardée en feuilletant le livre distraitement. Elle s’est arrêtée sur une page, sur mon passage. Elle a vu ce que j’avais vu, lu ce que j’avais aimé. Elle a eu un sourire d’une infinie douceur en le découvrant, en me découvrant…

Et puis elle baissé la tête et m’a avoué, à regrets, n’avoir finalement jamais pris le temps de noter quoi que ce soit dans son petit carnet prévu pour ça.

Nuit de la lecture 2018, j’en suis !

Traitement de choc

Voilà encore une bien jolie invitation, lecteur spectateur, une invitation à participer à la Nuit de la Lecture à la Médiathèque de Veigy. Alors, bien sûr, j’ai dit : « Oui » (tu vas voir, cette année encore sera une année du « Oui »‘, du « Non » aussi, maintenant que j’ai appris à le prononcer, mais du « Oui » pour des tas de projets).

Ça m’a un peu bouleversée du planning, ayant déjà pour cette soirée quelques obligations (voeux du Maire, présence requise quand on est Conseillère) mais je me suis dépatouillée pour tout mettre dans la même soirée, une apparition ici, un petit coup de main là et, telle la lune ce prochain 31 janvier ou telle Bonnie Tyler pour mes Juke Boxes Cérébraux lecteurs (je t’expliquerai, promis, c’est une sorte de petit défi entre amies), tout discrètement je m’éclipserai pour te retrouver, lecteur attentif, en prenant, certes, un peu en cours le déroulé de la soirée mais j’y serai.

Ça m’a aussi un peu chamboulée de la santé, étant fiévreuse et rejouant la Dame aux Camélias (ou interprétant le nénuphar de Chloé, Vian, si tu m’entends), tu n’as pas idée de tout ce que j’ai avalé, reniflé, respiré, ingurgité, appliqué, combien je me suis reposée, couchée, allongée, pour être certaine de ne pas te manquer.

Alors, voilà, je serai là ce soir à 21h précises.

Je serai là, mes petits livres sous le bras et je te lirai (j’espère sans tousser), quelque pages des « Fleurs roses du papier peint ». On discutera, on échangera, on rigolera (tu verras, si tu ne me connais pas, je garde rarement mon sérieux plus de dix minutes d’affilée, c’est comme ça, je ne peux pas m’en empêcher), on ne se bisera peut-être pas, rapport aux microbes et aux crobes entiers…

Tu pourras aussi, si tu le souhaites et que les quelques pages lues t’ont plu, repartir avec un exemplaire affublé d’une petite bafouille amicale.

Je me réjouis de te retrouver (même si tu es deux ou trois, hein, tout me va).

À ce soir !

Les oubliés de la bibliothèque

Souvent je ris toute seule…

Ils auraient dû rejoindre la pile de la petit table de chevet en bois, la pile des « to-read », ils auraient dû attendre sagement leur tour mais pour une raison inconnue, ils ont été trianglebermudés (merci Véronique Ovaldé).

Ils avaient été achetés parmi tout un tas d’autres, parce que je n’avais pas su choisir, parce que, comme une camée, je prévois de ne jamais en manquer.

Peut-être ont-ils été rangés à la va-vite dans la bibliothèque par une journée faste de grand ménage (habillé) de printemps. Le temps a passé, les livres se sont enchaînés, ils ont été oubliés.

Et puis, à la faveur d’une recherche effrénée et tremblante (plus rien à se mettre sous la dent, plus rien à avaler), alors que je pousse les livres placés sur le devant de l’étagère pour libérer ceux qui sont derrière, que je souris au souvenir de celui-ci, que je songe qu’il faudrait à nouveau classer tout ça, ils tombent sur moi.

Littéralement, littérairement, ils tombent sur moi, les oubliés de la bibliothèque, les laissés-pour-compte, les pour-plus-tard, ils chutent vertigineusement de là-bas-au-fond-tout-derrière, droit sur mon front.

Un rapide coup d’oeil au beurre noir et pâte feuilletée pour vérifier s’ils sont cornés, annotés, si un passage se rappelle à mon souvenir. Non, ce sont bel et bien des rescapés, des naufragés. Et comme pour s’assurer de ne plus être abandonnés, comme pour s’accrocher à mon regard, pour attiser ma curiosité ou pour me démontrer par A + B page 64, second chapitre que je les ai négligés, ils me percutent d’une phrase, LA phrase, le paragraphe qui va comme un gant à mes actuelles et torturées pensées, qui les enveloppe d’un sens différent, qui les éclaire en un instant.

Comme cet éphéméride perpétuel qui trône sur mon bureau et qui, chaque matin semble connaître de quoi sera faite ma journée, les livres ont ce pouvoir étonnant de ME lire tandis que je cherche à noyer mes pensées.

Deux coups de poing sur le crâne

incardona-panneaux-270x250J’ai récemment eu le plaisir de participer au prix Lettres Frontière (un prix décerné par les lecteurs des bibliothèques municipales récompensant un auteur suisse et un auteur français). Non, lecteur assidu et fan de la première heure, pas pour ma pomme, pas en tant qu’auteure (ah ! ah ! petit farceur ! On est bien loin de là !), non, en tant que lectrice.

Après la petite réunion qui vint conclure nos lectures lors d’un « prose café » et les notes données, les débats parfois animés sur les styles et les ressentis, je suis tombée, dans la même journée, sur une affiche reprenant une citation de Kafka (extraite d’une lettre qu’il adressât à son ami Pollak) :

« Il me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent.
Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un bon coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire (…)
Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous.
Voilà ce que je crois. »

C’est très exactement ce que j’attends de la lecture. Peu importe que le coup de poing soit celui de la puissance du style ou de l’histoire, il me faut être secouée d’une manière ou d’une autre et que, quelle que soit l’intrigue, je ressente une musique dans l’écriture, un soin dans le choix des mots. Parmi les livres de la sélection Lettres Frontière, j’ai reçu deux de ces merveilleux coups de poing sur le crâne.

D’abord « Derrière les panneaux il y a des hommes » de Joseph Incardona, qui m’a réconciliée avec les polars (comme seul le regretté Thierry Jonquet et son « Moloch » l’avait fait jusque là). Un livre d’une puissance incroyable, cru, terriblement cru mais dont l’écriture scénaristique et incisive sert un livre passionnant humainement. L’auteur parvient, de plus, à une empathie incroyable envers chacun de ses personnages (pas un n’est laissé de côté, pas un n’est tout blanc ou tout noir).

Puis « Archives du vent » de Pierre Cendors qui est LA claque littéraire de l’année pour moi. Un livre comme une performance d’écriture qui ne néglige pas pour autant une histoire passionnante autant que surprenante (et parfois déstabilisante) mais nécessite d’aimer sincèrement devoir un peu en baver pour accéder à tout le spectre de cet art (car oui, pour moi, une telle écriture, c’est de l’art).

J’ai également adoré « En cheveux » d’Emmanuelle Pagano, dont l’écriture est toute faite de dentelle pour servir un récit féministe et fort…

C’est finalement « Sur la route de Beit Zera » de Hubert Mingarelli et « Un lieu sans raison » d’Anne-Claire Decorvet qui ont été couronnés par ce prix. Je n’ai pas vraiment accroché sur le premier, j’ai beaucoup aimé le second (même s’il n’est pas dans mon trio de tête personnel, c’est un livre également fort, à l’écriture soignée), bravo aux gagnants et merci à eux, comme aux autres pour ces découvertes.