Quand les coquecigrues ne passent plus

Lorsque mon fils me demande la définition d’un mot, j’ai pour habitude de l’envoyer voir La Rousse…

Non pas que je ne sois pas en mesure de lui répondre mais parce que, lorsque le cerveau cherche une réponse par lui-même, il enregistre sur le long terme tandis que si ladite réponse lui est fournie toute cuite dans le bec du préfrontal, il oubliera même s’être un jour posé la question.

Et puis, lorsque l’on cherche dans une encyclopédie ou un dictionnaire (plutôt qu’en mode Google-is-your-friend), en faisant virevolter les pages, nos yeux absorbent tout un tas d’autres mots, d’illustrations et, pour peu que l’on soit un peu curieux, on s’y attarde, on y flâne et par un doux hasard il se peut que l’on apprenne deux, trois trucs en plus.

Hier soir, cet enfant qui dévore des livres comme d’autres engloutissent des friandises, voulait connaître ce qui se cachait derrière « coquecigrue ». Ne dérogeant pas à la règle sus-citée, je l’envoyai, un sourire de ravissement flanqué sur le visage (j’aime ce mot), jeter un oeil dans le mille-feuilles des connaissances.

Tout en cuisinant, je l’écoutais d’une oreille énoncer à haute voix les mots qui devaient logiquement précéder ou suivre le terme recherché. Mais point de « coquecigrue ». Et comme « rien n’est jamais perdu tant que maman n’a pas cherché », j’entrepris à mon tour de feuilleter l’ouvrage, en vain.

Coquecigrue n’est plus. Coquecigrue a disparu. On ne regarde plus passer les coquecigrues, on n’attend plus les coquecigrues, les coquecigrues ne passent plus.

Je ne suis pas sans savoir que, chaque année, des mots entrent dans le dictionnaire, des nouveaux mots, de la novlangue et, contrairement à d’autres amoureux de la littérature, je n’ai rien contre, le langage doit évoluer tout comme évolue nos us et coutumes, et j’emploie plus qu’à mon tour ces derniers lorsqu’ils sont appropriés (et aussi pour ne pas passer pour une intello-snob qui use et abuse de mots complexes pour se la péter).

Mais, si chaque année est édité la liste des mots ajoutés, nul hommage n’est rendu à ceux qui sont décédés, poussés, virés, décapités, boutés hors des références, sacrifiés pour laisser place.

Et au fond, pourquoi ces nouveaux mots ne pourraient-ils pas venir juste nourrir le dictionnaire ? S’ajouter au lieu de se suppléer ? Enrichir ?

Parce que si certains nouveaux mots me semblent indispensables pour définir nos nouveaux comportements, les anciens, tels que coquecigrue et tant d’autres, ont à mon coeur une chaleur, à ma bouche un bonheur, le tout créant une sensation proche de celui éprouvé à déguster certaines pâtisseries. Certains mots ont à mes oreilles un frisson tant ils paraissent inégalables à mon cerveau lorsqu’il s’agit de choisir la juste description.

Fort heureusement j’ai, dans ma bibliothèque, une antique Rousse de 1922 et un dictionnaire des synonymes de 1977 dans lesquels rien ne saurait disparaitre.

 

La délicatesse

Se poser sur le sol

As-tu déjà, lecteur, fait des rêves au shaker ? Tu sais, ces rêves où tout est mélangé, où des personnes qui n’ont aucune raison d’être à cet endroit-là avec ces personnes-ci, à ce moment précis, sont réunies ? Ces rêves improbables mais parfaits.

C’est un peu le résumé de mon dîner de mardi. Des proches de lieux géographiquement éloignés assis à la même table, échangeant, riant, mangeant, buvant.

Moi, assise à la table d’auteurs admirables.

Et la délicatesse.

La délicatesse de mon compagnon de voyage, ma Vérité, studieux dans le TGV pour m’aider à dénicher l’extrait par lequel susciter le désir de l’auditoire.

La délicatesse de mon hôtesse, un quatre étoiles de tendresse à deux pas de la Place Clichy.

La délicatesse de mes amis restés ici, tapotant sur leur écran de téléphone pour m’envoyer des encouragements comme d’autres envoient des fleurs.

La délicatesse de Sorj Chalandon, attentif, présent, multipliant les attentions pour que je me sente à ma place, bienvenue, légitime à ses côtés.

La délicatesse de Frédéric Fredj, présentant mon livre et moi-même à l’assemblée avec tous les égards.

La délicatesse de Michèle Gazier, douce, souriante, s’offrant « Les fleurs roses du papier peint » et me demandant une dédicace.

La délicatesse d’une amie retrouvée chargée d’un cadeau sur fond de colibri, celle d’Annie, discrète et touchante.

Comme après un rêve au shaker, je peine à faire le tri de tout le bonheur reçu à Paris. Je peine à te raconter, lecteur, alors même que je sais tout de ta curiosité sur le sujet, il y a tant à dire et tant de précieux que je veux conserver juste pour moi. Ne m’en veux pas, ça viendra, par bribes ou par pavés jetés ici et là au fil du temps dès qu’il cessera d’être suspendu.

J’ai le coeur empli pour une vie.

 

Le paradoxe de la valise

Des livres et du bonheur

J’ai mis dans ma valise dix exemplaires de mon livre (et ceux de ma génération qui ont cette vilaine propension à avoir un juke box pourri dans la tête, devraient avoir une certaine chanson pour enfants dedans à la lecture de cette phrase).

J’ai mis dans ma valise, aussi, les exemplaires des livres de Sorj Chalandon, Michèle Gazier et Michèle Lesbre, dévorés en amont, mon côté bon élève m’ayant poussée à les lire avant pour échanger avec conviction.

J’ai mis dans ma valise trois vêtements, peu de choses, pas besoin de tant.

Mais, surtout, j’ai mis dans ma valise de la joie, du bonheur, de l’excitation. J’ai laissé les attentes, elles écraseraient la joie et me chargeraient pour rien. J’aime mieux y aller tout juste vêtue d’un brin d’ivresse, je ne crains pas de prendre froid.

C’est rudement lourd une valise pleine de joie et de bonheur. Bien plus lourd que tout le reste du contenu.

C’est paradoxalement incroyablement léger une valise remplie de joie et de bonheur, c’est une plume volée à des ailes encore faites de duvet.

À demain, amis Parisiens.

Le choix

Ce pourrait être celui-ci

D’ordinaire, lorsque je suis confrontée à un choix je fais plutôt fissa.

Je ne suis pas du genre à tergiverser deux heures pour me décider entre le mille-feuilles (oh ! clin d’oeil !) et la tarte au citron tandis que le serveur (et les autres convives, soyons complets) dodeline de la tête pour masquer son impatience et je ne passe pas plus de temps à flâner parmi les rayons d’un magasin de vêtements en ponctuant ma visite de « Ah, j’sais pas… celle-ci ? Celle-là ? Nan… Décidément, j’sais pas ! Je réessaie, bouge pas ! ».

Plus jeune, j’avais un ami qui supportait si mal de devoir se positionner, qu’il avait mis en place d’étonnantes stratégies sous forme de défis. L’exemple le plus effarant étant qu’il avait pour objectif de n’avoir des histoires d’amour qu’avec des filles dont le prénom avait été honoré par une chanson (ce qui me mettait hors jeu d’entrée du même jeu mais, et c’est heureux, je n’avais pas plus d’attirance pour lui que pour ma meilleure amie) réduisant ainsi la liste des possibles et amenuisant conséquemment ce que Renata Salecl nommait la tyrannie du choix.

Mais je digresse…

Le dîner Mille-Feuille approche à grands pas et, va savoir si c’est un coup tordu de l’univers ou pas, mais la multiplication des articles dithyrambiques (à juste titre !) sur Sorj Chalandon ajoutant à ma pression, je peine, je lutte, je me débats avec mes hauts : quel extrait des « Fleurs roses du papier peint » vais-je donc bien choisir pour lire juste à côté (avant, après, nul ne le sait) de cet homme qui a toute mon admiration ?

J’ai bien pensé à laisser le hasard opérer comme je l’avais fait pour une lecture publique de mes deux nouvelles mais, pour cette fois, l’idée ne me satisfait pas.

Alors voilà, j’ai eu une idée : tu vas m’aider (note comme je te laisse le choix). Eh ! Où tu vas ? Reste là ! Ne te sauve pas ! C’est simple : si tu m’as lue, tu vas mettre ici en commentaire (ou sur FB, comme il te plaît) ce que TOI, tu choisirais si tu devais convaincre quelqu’un de lire « Les fleurs roses du papier peint » sans trop en déflorer l’intrigue (merci à Anniemots pour ce jeu de mots repiqué).

Et pour ne pas « spoiler » (comme on dit de nos jours mon bon monsieur), tu vas juste écrire le numéro de la page et celui du paragraphe de début d’extrait (avec un peu de chance, ça aura le mérite supplémentaire de frustrer légèrement celui qui ne l’a pas encore lu et qui, conséquemment, ne pourra pas jouer et, si ça se trouve, il l’achètera dans la foulée !).

Bon, il est possible aussi que tu me dises de me démerder et que j’ai cet air de gamine seule à son goûter d’anniversaire attendant que la sonnette retentisse mais je suis prête à assumer l’échec total et parfait de mon idée…

Toutes mes excuses

C’est possible

Voilà, ami lecteur, c’est fait, je ne peux plus reculer : mon billet pour Paris, les Mille-Feuilles, le 10 octobre, est réservé. 

Depuis que c’est fait, c’est étonnant, je souris bêtement, partout, tout le temps.

Non pas que je sois d’ordinaire revêche, je suis d’un naturel joyeux, d’un caractère heureux, ne me demande pas pourquoi, je suis comme ça même dans les pires aléas, ma bonne humeur flanche rarement, une histoire de rayures qui ont la vie dure…

Bref, là, lecteur, c’est encore plus flagrant, je te jure que je souris vraiment bêtement à tout le monde et n’importe quand…

Alors à celui qui me connaît plus intimement ou qui me croise chaque matin (notamment au dépôt de marmots à huit heures vingt), je fais toutes mes excuses si, durant quelques temps, j’ai cet air un peu absent, totalement absurde et un brin agaçant de la nana que rien ne saisit, même pas le froid, même pas la pluie…

Toutes mes excuses d’avance et rétrospectivement (j’ai déjà sévi ayant réservé plus tôt dans la journée) pour ma logorrhée, mon Taux de Conneries/Minute augmenté, mon rien-à-péter-si-ma-vanne-tombe-à-plat, mes danses du poulet, mes chansons chantonnées sans même y penser, vraiment, navrée si toi, de ton côté, tu as le moral dans le fond de tes chaussettes et que ma mine réjouie te semble parfaitement inappropriée.

Mais tu vois, lecteur, une amie m’a un jour dit : « Quand c’est juste, tout se met en place » et je ne peux te raconter tout ce qu’il se passe (sauf si tu as quatre heures devant toi), mais tout se met en place… naturellement, facilement, joyeusement, un truc à bouter Doute à coups de talons aiguilles loin de moi (bon, je peux me targuer de me connaître et je sais que Doute, Flippe et toute sa clique sont tapis pas loin, là, dans un recoin et qu’ils vont me sauter dessus entre deux stations de métro ou dans le couloir du TGV mais pour le moment… je m’en fous, je danse sur « Steal my kisses from you » et en même temps je t’écris).

Toutes mes excuses donc pour mon air un peu con, mais je suis ravie, vivante, heureuse, je vais te rencontrer, je vais trembler, je vais avoir l’impression d’être un CP propulsé dans la cour du collège. Cinq secondes avant que tu arrives, je vais peut-être même regretter, me demander pourquoi j’ai accepté (je n’étais même pas bourrée !!!), mais je vais vivre un truc un peu fou alors j’ai des diamants plein le coeur.

 

L’incroyable invitation

Officialiser…

Voilà, lecteur, c’est officiel. Je t’en avais vaguement causé, je t’avais dit que j’étais invitée mais n’avais pas encore tout à fait accepté et ne t’avais pas révélé où et par qui.

En Octobre, pour oublier que l’été s’en est allé, moi et ma petite valise contenant trois vêtements et tout plein d’exemplaires de mon roman, nous monterons dans le train pour Paris. Pour une soirée, pour une nuit.

Quand Frédéric Fredj m’a téléphonée pour m’inviter à son prochain dîner Mille-Feuilles, moi qui, lorsque je vivais à Paris, faisais des pieds et des mains pour ne pas en manquer un, j’ai cessé de respirer. Invitée ? En tant qu’auteur ? Pour présenter mes Fleurs ? Ça doit être une erreur… Vous dites ? Avec Sorj Chalandon que je suis venue voir en tant que lectrice lorsqu’il a présenté « Mon traître » et qui m’a tant émue ? Attendez, il faut que je retrouve toute ma tête…

Vous ajoutez ? Michèle Gazier ? Dont j’ai tant aimé « Un soupçon d’indigo » ? Ça ne pas… c’est trop…

Michèle Lesbre ? Je crois ne pas avoir encore eu la chance de la rencontrer lors de ces dîners mais…

Je me suis sentie minuscule.

Minuscule et impressionnée.

Petite fourmi s’asseyant à côté de géants.

Chanceuse éponge qui pourra absorber tout ce que ces beaux auteurs accepteront de lui verser. Je m’imbiberai de la moindre goutte.

Et puis, il faudra choisir un extrait, cinq minutes, c’est le temps qui me sera donné. Il me faudra porter la voix, être claire et calme, masquer la timidité, le trouble, les mains tremblantes et peu assurées pour te rencontrer, toi, lecteur. Enfiler ma robe sans peur pour apprécier cette incroyable opportunité de m’installer à la place de ceux que j’ai tant aimé écouter.

(si tu veux venir, c’est par ici que tu peux te renseigner et réserver)

Le Mille-feuilles Belge

C’est toute bouillonnante, et sans même jeter un œil profond sur le programme, que j’ai réservé ma table pour le dernier dîner Mille-feuilles. J’avais bien noté qu’il s’agissait d’un spécial Belgique, absente je l’avoue de ma culture littéraire, mais peu m’importait, j’avais enfin un créneau dans mon agenda qui compenserait la frustration de mes dernières absences à ces réjouissantes soirées. De plus, par expérience de ces dîners, je savais pertinemment que peu importe la connaissance que l’on possède des invités, ils sont toujours de qualité et permettent de belles découvertes (voir https://lavilaine31.wordpress.com/2007/06/02/thierry-jonquet-ou-les-decouvertes-des-diners-mille-feuilles/ ).

C’est Jean-Luc OUTERS (pour « Le voyage de Lucas ») qui a ouvert le bal. Et s’il semblait regretter que son livre ne soit encore qu’à l’état d’épreuve, lorsqu’il a commencé à fureter dans les feuilles volantes afin de trouver le passage le plus significatif à nous lire, un frisson de plaisir et d’excitation m’a parcouru l’échine. Privilégiée ! Voilà ce que j’étais à ce moment précis, une sensation exquise que d’être parmi les premiers à entendre ces lignes, de la bouche même de l’auteur, et quelle saveur que de contempler avidement ce manuscrit qui me paraissait si secret en cet instant.

Mille-feuilles infographie par La Vilaine

Mille-feuilles infographie par La Vilaine

A peine remise de cette intervention, l’incroyable voix de Marcel MOREAU (pour « Une philosophie à coups de rein ») s’est élevée. Une voix si profonde, si transpirante de l’émotion de sa lecture, que je voulais l’emmener chez moi, l’asseoir près de mon lit, m’installer confortablement sous mon édredon et l’écouter toute une nuit durant. Bien sûr, la voix seule n’aurait sans doute pas suffi si les extraits lus, ayant pour sujet la fièvre de l’écriture ; le rythme de cette écriture, n’étaient pas d’une incroyable poésie, une symphonie de mots. Le temps s’est arrêté au restaurant le Candide et ma respiration avec.

Enfin Jean-Caude BOLOGNE (pour « Histoire de la conquête amoureuse de l’antiquité à nos jours ») a refermé la première partie de la soirée sur une note légère et humoristique. Cet homme a tant étudié l’art de la séduction que l’on en vient à penser en l’écoutant qu’il est heureux qu’il soit marié sans quoi il serait dangereux !

Et puis parallèlement à ces bonheurs littéraires, un petit bonheur personnel, la seconde partie, Frédéric Fredj à ma table, dont la générosité au-delà de la mission culturelle qu’il s’est choisie, en fait un être rare qu’il est précieux de rencontrer.

Le prochain Mille-feuilles aura lieu le 16 janvier, ce sera le tout dernier au Candide, les propriétaires n’ayant pas conscience du privilège d’héberger de tels dîners. Puissent-ils lire ces quelques lignes pour en entrevoir toute la portée…

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